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Lithiases rénales bilatérales et récidivantes révélant une maladie de Wilson

Lithiases rénales bilatérales et récidivantes révélant une maladie de Wilson

 

Salem Bouomrani1,&, Hanène Nouma1, Marwa Neffoussi1, Maher Béji1

 

1Service de Médecine Interne, Hôpital Militaire de Gabes, 6000,Tunisie

 

 

&Auteur correspondant
Salem Bouomrani, Service de Médecine Interne, Hôpital Militaire de Gabes 6000, Tunisie

 

 

Résumé

L’atteinte rénale au cours de la maladie de Wilson est récemment connue. Elle est dominée par l’hypercalciurie souvent asymptomatique et survenant au cours de l’évolution de la maladie. Nous rapportons une observation originale de lithiases rénales bilatérales, multiples et récidivantes comme première manifestation de la maladie de Wilson. Il s’agit d’un patient de 40 ans ayant comme antécédents des coliques néphrétiques bilatérales et trainantes en rapport avec des calculs rénaux bilatéraux évoluant depuis dix ans. Ils ont fait l’objet de plusieurs consultations chez les praticiens de ville avec plusieurs traitements symptomatiques mais sans amélioration. Le diagnostic de MW était fait à l’occasion d’une étude de famille suite au diagnostic de l’affection chez la sœur. Il a été traité par D-Penicillamine à raison de 20 mg/Kg/j avec une diète pauvre en cuivre. L’évolution était favorable cliniquement avec une réduction nette de la calciurie. Le dosage de la cupriurie peut être ainsi utile dans le bilan étiologique d’une lithiase urinaire qui ne fait pas sa preuve; surtout si récidivante, multiple et bilatérale.

 

 

Introduction

Décrite pour la première fois par Kinner Wilson en 1912 [1] et caractérisée génétiquement en 1993 [2], la maladie qui porte depuis son nom (maladie de Wilson : MW) est une anomalie héréditaire du métabolisme du cuivre à transmission autosomique récessive en rapport avec une mutation du gène de l’ATP7B entrainant l’accumulation du cuivre dans les différents tissus de l’organisme. Les manifestations cliniques sont multiples et polymorphes mais restent de loin dominées par l’atteinte hépatique et neurologique. L’atteinte rénale au cours de cette affection est récemment connue : rapportée pour la première fois en 1959 [3]. Elle est dominée par l’hypercalciurie souvent asymptomatique. Elle s’observe souvent au cours de l’évolution de la maladie [4]: 41% des wilsoniens avec atteintes hépatiques et neurologiques présentent une néphropathie wilsonienne associée [5]. Les calculs rénaux ne figurent pas parmi les complications classiques de cette maladie métaboliques et les formes révélatrices sont exceptionnelles. Elles sont rapportées sous forme de cas isolés dans la littérature mondiale [6]. Nous rapportons une observation de lithiases rénales bilatérales, multiples et récidivantes comme première manifestation d’une maladie de Wilson.

 

 

Patient et observation

Patient de 40 ans ayant comme antécédents des coliques néphrétiques bilatérales et trainantes en rapport avec des calculs rénaux bilatéraux et qui ont fait l’objet de plusieurs consultations chez les praticiens de ville avec plusieurs traitements symptomatiques mais sans amélioration. Le diagnostic de MW était fait dix ans après le début de la symptomatologie rénale, à l’occasion d’une étude de famille suite au diagnostic de l’affection chez la sœur. A l’examen somatique, il présentait des signes neurologiques discrets à type de tremblement fin non intensionnel, une rigidité extrapyramidale avec phénomène de roux dentée et une discrète dysarthrie avec une voix monocorde et une élocution difficile. L’examen ophtalmologique à la lampe à fente révélait un anneau de Keyser-Fleischer bilatéral. Le bilan cuprique confirmait le diagnostic en montrant une cuprémie basse à 0.37 mg/l (normale entre 0.73 et 2 mg/l), une cuprurie franchement élevée à 0.4 mg/24h (normale <; 0.05 mg/24h) et une céruloplasmine basse à 0.13 g/l (normale de 0.2 à 0.4 g/l). L’étude génétique familiale mettait en évidence la mutation homozygote du gène ATP 7B sur le chromosome 13 chez notre patient ainsi que quatre autres membres de la famille. Le bilan hépatique était normal ainsi que la calcémie, l’uricémie et la parathormone. La calciurie de 24H était par contre franchement pathologique: 680 mg/24h pour une normale comprise entre 100 et 400 mg/24h. La créatinine était à 90 µmol/l. L’imagerie médicale (radiographie standard de l’arbre urinaire sans préparation, échographie rénale et urographie intra veineuse) montrait de multiples calculs des deux reins prédominant du coté droit dont le plus volumineux est caliciel supérieur droit mesurant 21 mm de grand axe (Figure 1, Figure 2). Il a été traité par D-Penicillamine à raison de 20 mg/Kg/j et du sulfate de Zinc avec une diète pauvre en cuivre. L’évolution était favorable avec une réduction nette de la calciurie, régression des signes neurologiques et stabilisation des lithiases rénales.

 

 

Discussion

Même si l’échographie systématique a permis de les retrouver chez sept patients sur 45 de la série de Wiebers DO., soit 16% des cas [7], les lithiases rénales restent une présentation rare [8,9] et inhabituelle [8,10] de la MW.

Les formes révélatrices de la maladie sont exceptionnelle [11,12]: en effet, et depuis la reconnaissance des complications rénales de la MW en 1959, la revue de la littérature faite en 1994 par Nakada SY. N’en retrouve que trois observations [11]. Depuis 1994 et jusqu’à 2012 nous avons pu retrouver trois autres observations de lithiases rénales révélatrices de la MW rapportées par Rakhimova O. en 2003, Kalra V. en 2004 et Di Stefano V. en 2012 [6,9,12]. Notre observation est, à notre connaissance, la septième dans la littérature mondiale rapportant une telle association.

Les facteurs étiopathogéniques de la lithogénèse au cours de la MW sont la tubulopathie et les anomalies de l’excrétion acide-base urinaire [7]. En effet l’acidose proximale complète ou incomplète est la complication rénale la plus fréquente de la MW et l’hypercalciurie qui en résulte représente le prémum movens le plus plausible de la lithogénèse rénale [6,9,12]. Cette hypercalciurie peut rester asymptomatique pendant des dizaines d’années avant d’être à l’origine d’une polyurie/polydipsie et aboutir enfin à la néphrocalcinose [6]. Les anomalies de l’excrétion du calcium urinaire commencent tôt chez les wilsoniens, même pendant la petite enfance [6] mais le diagnostic de MW comme étiologie de cette hypercalciurie n’est porté qu’après un intervalle très long, souvent au stade de la néphrocalcinose irréversible [6,8]. Ceci explique le fait que l’âge de survenu des complications rénales au cours de la MW soit précoce: en moyenne 12.5 ± 0.5 an dans la série de Huang CC [4].

Un cas anecdotique de lithiases rénales associées à une ostéomalacie sévère conséquence de la tubulopathie proximale de la MW fût rapporté [10] laissant évoquer un lien de causalité possible.

La clinique de ces lithiases au cours de la MW n’a rien de spécifique. Les coliques néphrétiques sont les plus fréquentes [9,11]. Plus rarement ces lithiases peuvent être découvertes à l’occasion d’une hématurie [13], d’une acidose tubulaire de type 1 [13,14] ou d’une ostéomalacie [10]. L’insuffisance rénale aigue, souvent dans le cadre d’une défaillance multi viscérale grave, reste exceptionnelle et inhabituelle [15].

Ces lithiases peuvent être intra parenchymateuses ou bine s’associer à des calculs des voies excrétrices, en particulier urétéraux distaux et spontanément éliminées dans les urines [11]. L’atteinte rénale de la MW, en particulier la tubulopathie, répond bien au traitement qui associe régime pauvre en cuivre, D-pénicillamnie et sels de Zinc [6,13].

Le screening de la MW doit ainsi être systématique chez tout patient présentant des lithiases urinaires [11] surtout s’ils s’y associent des anomalies neurologiques, osseuses ou hépatiques inexpliquées mêmes minimes [7]. De même un bilan cuprique sanguin et urinaire est recommandé pour tout enfant présentant des calculs rénaux [16].

 

 

Conclusion

Les lithiases urinaires sont loin d’être rares au cours de la MW si recherchées systématiquement; Elles restent longtemps latentes mais peuvent exceptionnellement révéler la maladie. Faute de ne pas être connue comme étiologie habituelle, le diagnostic de la MW est classiquement retardé de plusieurs années par rapport à la symptomatologie urinaire. Le dosage de la cupriurie peut ainsi être utile dans le bilan étiologique d’une lithiase urinaire qui ne fait pas sa preuve; surtout si récidivante, multiple et bilatérale.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucuns conflits d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs

Tous les auteurs ont contribué au diagnostic et la prise en charge du patient ainsi qu’à la recherche bibliographique. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures

Figure 1: échographie rénale: multiples images hyper échogènes avec des cônes d’ombre postérieurs au niveau des deux reins spécifiques de lithiases rénales bilatérale

Figure 2: radiographie standard de l’arbre urinaire sans préparation de face (a) et de profil (b): multiples calculs rénaux radio-opaques bilatéraux

 

 

Références

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