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Trouble de l’écriture révélateur d’un accident vasculaire cérébral ischémique: à propos d’un cas

Trouble de l’écriture révélateur d’un accident vasculaire cérébral ischémique: à propos d’un cas

 

Marcellin Bugeme1,2, Olivier Mukuku3,&, Pitchou Mobambo1, Eric Wakunga3, Joseph Nsambi3, Christian Kabamba3, Paul Makinko Ilunga3, Augustin Mulangu Mutombo1, Emmanuel Muyumba1

 

1Hôpital Jason Sendwe, Lubumbashi, République Démocratique du Congo, 2Centre Neuro-Psychiatrique Dr Joseph Guislain, Lubumbashi, République Démocratique du Congo, 3Cliniques Universitaires de Lubumbashi, République Démocratique du Congo

 

 

&Auteur correspondant
Olivier Mukuku, Cliniques Universitaires de Lubumbashi, République Démocratique du Congo

 

 

Résumé

Les auteurs rapportent un cas d’un accident vasculaire cérébral ischémique constitué diagnostiqué fortuitement suite à un trouble de l’écriture chez une patiente enseignante, agée de 37 ans, avec antécédent d’hypertension artérielle. L’examen neurologique a conclu à une dysgraphie périphérique et les examens paracliniques faits nous ont permis de mettre en évidence cet accident ischémique constitué. La difficulté pour cette patiente à pouvoir écrire correctement une phrase nous a permis de conclure à la responsabilité de sa main droite dans l’ensemble des erreurs observées. Le trouble de l’écriture serait resté inaperçu si cette patiente n’avait pas été enseignante.

 

 

Introduction

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) posent un problème majeur de santé dans la société par leur fréquence et leur mortalité ; ils entrainent des handicaps cognitifs et physiques dont le trouble de l’écriture [1].

 

On écrit avec la main, ou encore avec le pied, ce que l’on entend, ce que l’on dit, ce que l’on voit, ce que l’on sent, ce que l’on pense. Cette formule suffirait à résumer les relations entre le système nerveux et l’écriture. Un trouble de l’écriture oriente le plus souvent vers une agraphie et laisse suspecter, chez un droitier, une lésion de l’hémisphère gauche.

 

Nous rapportons le cas d’une femme enseignante à l’école primaire présentant un trouble de l’écriture lors de l’usage de la craie au tableau noir et du stylo quand elle devait préparer ses leçons.

 

 

Patient et observation

Madame N.V âgée de 37 ans, droitière, enseignante à l’école primaire, consulte le service de Neurologie de l’hôpital Sendwe pour difficulté d’écrire avec sa main droite depuis 5 jours, ce qui l’obligera d’arrêter son travail car elle ne savait plus tenir ni le stylo ni la craie pour écrire. En remontant à 3 mois de la présente consultation, elle rapporte une paresthésie à l’hémicorps droit et des contractures musculaires à la main droite suivies d’une brève perte de connaissance se répétant environ toutes les 2 semaines. Ses antécédents relèvent qu’elle est reconnue hypertendue depuis une année et qu’elle ne respecte pas la prise de son traitement antihypertenseur. A l’admission, la pression artérielle était de 165/103 mmHg et les autres signes vitaux étaient dans les normes.

 

L’examen neurologique a mis en évidence une hypoesthésie à l’hémiface droite et au niveau du membre supérieur droit : une diminution de la force musculaire segmentaire, une hyperréfléxie ostéotendineuse, une légère hypertonie spastique, les épreuves doigt-nez et marionnette étaient non réalisées ; le reflexe cutanéo-plantaire était indifférent à droite (signe de Babinski positif). Aucune agnosie digitale n’avait été mise en évidence. En plus, une hypoesthésie intéressant tout l’hémicorps droit était notée. Le reste de l’examen neurosomatique était sans particularité.

 

Concernant l’écriture, celle-ci était déformée et des mots contenant d´ambiguïtés graphiques de lettres et un trouble de la production écrite au niveau du système périphérique étaient notés lorsque nous avons demandé à la patiente d’écrire son nom et son âge (Figure 1). A l’issue de l’examen clinique, le diagnostic de dysgraphie périphérique post-AVC était retenu.

 

Les examens biologiques faits révélaient une hypercholestérolémie (Cholestérol total: 362,0mg/100ml, HDL cholestérol: 64,1mg/100ml, LDL cholestérol : 225mg/100ml). L’électrocardiographie était normale.

 

Le CT-Scan cérébral réalisé d’emblée en coupes axiales de 5mm (sans injection intraveineuse du produit de contraste), à partir du plan orbito-méatal met en évidence un accident ischémique constitué au niveau du centre semi ovale gauche bien systématisé (dans le lobe pariétal gauche), sous forme de lacune hypodense, touchant le territoire vasculaire de l’artère cérébrale moyenne gauche sans zone de ramollissement cérébral associé au niveau hémisphérique homolatéral (Figure 2).

 

Sa prise en charge était fait d’un antiagrégant plaquettaire (Aspirine 100 mg par jour), d’un antihypertenseur (Captopril 50 mg par jour) et d’un hypolipémiant (Simvastatine 20 mg par jour). A ce traitement médical était associée une kinésithérapie de rééducation motrice du geste graphique.

 

Après un suivi de 45 jours, la patiente a retrouvé son écriture (Figure 1) et jusqu’à ces jours, elle n’a présenté aucun signe d’AVC ni de séquelles.

 

 

Discussion

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) représentent la troisième cause de mortalité (10% des causes de décès) et la première cause de handicap non traumatique de l’adulte dans les pays industrialisés. Les AVC sont d’origine ischémique dans 80 à 85% des cas et d’origine hémorragique (hémorragies cérébrales et sous-arachnoïdiennes) dans 15 à 20% des cas. Environ la moitié des infarctus cérébraux concerne le territoire sylvien [1,2].

 

Les facteurs de risque d’AVC sont nombreux [3] ; dans notre cas, la patiente était hypertendue et avait une hypercholestérolémie. Ces deux facteurs associés constituent un risque majeur de survenue d’un AVC.

 

Les symptômes de l’AVC expriment l’altération des fonctions neurologiques assurées par la partie du cerveau atteinte et l’imagerie médicale permet de décrire avec précision l’origine et la localisation de l’AVC. Dans les pays en développement comme le nôtre, par manque de tomodensitométrie et d’imagerie par résonance magnétique étant actuellement la technique de référence, l’imagerie médicale se limite à un scanner cérébral qui, réalisé dans notre observation, a permis la mise en évidence d’un AVC ischémique constitué au niveau du lobe pariétal gauche.

 

Le lobe pariétal est responsable du contrôle des mouvements des membres supérieurs, des déplacements du regard des yeux, de l’attention visuelle et des représentations prédictives du mouvement visuel guidant ainsi la main de pointer, de saisir et de se positionner avec précision en réponse aux repères visuels extérieurs [4]. L’atteinte de ce lobe conduit à des perturbations sensorimotrices y compris celle de la désorganisation de l’écriture car l’écriture est dépendante de la fonction pariétale ; comme c’est le cas chez notre patiente. La désorganisation de l’écriture peut toucher différents niveaux de la production écrite parmi lequel celui des programmes moteurs graphiques correspondant à ce que Lambert appelle la « dysgraphie apraxique » [5]. La dysgraphie apraxique a été décrite comme un désordre restreint de la formation des lettres. Elle se manifeste par la production de lettres généralement non reconnaissables (gribouillis, lettres avortées, etc.), fait principalement suite à des lésions pariétales gauches et est habituellement associée à une apraxie des membres. Elle aboutit soit à la production de tracés désorganisés ou de gribouillis, soit à des erreurs de substitution entre lettres proches sur le plan de leur réalisation graphique, soit encore à la production de lettres correctement formées sur le plan spatial, mais dont l’analyse cinématique révèle qu’il s’agit d’une production lente et laborieuse [5,6].

 

Selon Zesiger, l’atteinte des patterns moteurs provoque un déficit concernant le choix des traits de la lettre à produire car ceux-ci déterminent le nombre de traits à produire, leur ordre d’exécution, leur taille relative et le sens de rotation permettant la production de la lettre [6]. Ainsi, la prise en charge de la dysgraphie acquise se base sur la kinésithérapie de rééducation motrice du geste graphique [7]. Quant à celle des AVC constitués, elle consiste à appliquer les mesures thérapeutiques recommandées en phase aiguë et à déterminer la cause présumée afin de mettre en route la prévention secondaire la plus appropriée [1].

 

 

Conclusion

Notre observation met en évidence l’influence des lésions causées par l’ischémie cérébrale au niveau du lobe pariétal dans le contrôle des mouvements et en particulier l’activité d’écrire. Cette perturbation de l’écriture nous a permis de découvrir et de confirmer un accident vasculaire ischémique constitué chez notre patiente.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

 

 

Contributions des auteurs

Tous les auteurs ont contribué à la prise en charge du patient et à la rédaction du manuscrit. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures

Figure 1: Ecriture avant et après traitement

Figure 2: CT scan cérébral montrant un accident ischémique constitue au niveau du lobe pariétal gauche

 

 

Références

  1. Leys D, Pruvo JP. Stratégie pratique en urgence face à un accident vasculaire cérébral. Encycl Med Chir - Neurologie. 2002; 17-046-A-30. PubMed | Google Scholar

  2. Bogousslavsky J, Van Melle G, Regli F. The Lausanne Stroke Registry: analysis of 1,000 consecutive patients with first stroke. Stroke. 1988 Sep;19(9):1083-9. PubMed | Google Scholar

  3. Groupe suisse de travail pour les maladies cérébro-vasculaires et Fondation suisse de Cardiologie. L’accident vasculaire cérébral. Bulletin des médecins suisses. 2000; 81(32/33): 1789-1797. PubMed | Google Scholar

  4. Brownsett SL, Wise RJ. The contribution of the parietal lobes to speaking and writing. Cereb Cortex. 2010 Mar;20(3):517-23. PubMed | Google Scholar

  5. Lambert J. Rééducation du langage dans les aphasies. In : Rousseau T. Les approches thérapeutiques en orthophonie. Isbergues, France:Ortho Edition. 2004;4: 35-99. Google Scholar

  6. Zesiger P. Orthographe et écriture. In : Rondal JA, Seron X. Troubles du langage: bases théoriques, diagnostic et rééducation. Sprimont : Mardaga. 1999; 289-310. Google Scholar

  7. Serratrice G, Habib M. Troubles de l'écriture. La Lettre de Médecine Physique et de Réadaptation. 2007 ; 23 (4) : 231-238. Google Scholar