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Case report

Une association rare de polychondrite atrophiante et de lupus érythémateux systémique: à propos d'un cas

Une association rare de polychondrite atrophiante et de lupus érythémateux systémique: à propos d'un cas

A rare combination of relapsing polychondritis and systemic lupus erythematosus: a case report

Valentine Séréna Ndong1,&, Ghita Taki1, Hicham Harmouche1,2

 

1Service de Médecine Interne de l'Hôpital Universitaire Cheikh Zaïd, Université Internationale Abulcasis des Sciences de la Santé, Rabat, Maroc, 2Service de Médecine Interne du Centre Hospitalier Universitaire Ibn Sina Rabat, Faculté de Médecine, Université Mohamed V, Rabat, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Valentine Séréna Ndong, Service de Médecine Interne de l´Hôpital Universitaire Cheikh Zaïd, Université Internationale Abulcasis des Sciences de la Santé, Rabat, Maroc

 

 

Résumé

L'association de la polychondrite atrophiante chez les patients suivis pour un lupus érythémateux systémique est peu décrite dans la littérature avec une prévalence de 1%. Nous rapportons le premier cas marocain, il s'agit d´une patiente de 44 ans qui a présenté après neuf années d'évolution du lupus, un tableau de polychondrite atrophiante avec une rémission clinique après un suivi de 4 ans sous hydroxychloroquine et une faible dose de prednisone. Dans notre revue de la littérature, nous avons recensé 23 cas de lupus associé à la polychondrite atrophiante. Il s'agit de deux pathologies distinctes dont le mécanisme auto-immun serait impliqué. Ce cas souligne l´importance d´une surveillance mutuelle pour détecter précocement la survenue de l´une ou l'autre pathologie, malgré sa rareté.


The coexistence of relapsing polychondritis in patients under follow-up for systemic lupus erythematosus is rarely reported in the literature, with a prevalence of about 1%. We here report the first Moroccan case, a 44-year-old female patient who, after nine years of lupus, developed relapsing polychondritis and achieved clinical remission after four years of follow-up with hydroxychloroquine and low-dose prednisone. In our literature review, we identified 23 cases of lupus associated with relapsing polychondritis. These are two distinct pathologies in which the autoimmune mechanism is thought to be involved. This case highlights the importance of mutual surveillance to detect early the occurrence of either condition, despite their rarity.

Key words: Relapsing polychondritis, systemic lupus erythematosus, case report

 

 

Introduction    Down

La polychondrite atrophiante (PCA) est une maladie caractérisée par une inflammation récidivante des cartilages de l'oreille, du nez, du larynx et de l´arbre trachéobronchique. Elle est rare et peut parfois être suivie d'une dégénérescence des structures atteintes [1]. Le lupus érythémateux systémique (LES) est une maladie auto-immune caractérisée par la présence d'anticorps antinucléaires dirigés contre les cellules du noyau et les dépôts de complexes immuns responsables des différentes manifestations systémiques [2]. L'association de la PCA chez les patients lupiques est peu décrite dans la littérature avec une prévalence de 1% de la PCA [3]. Nous rapportons le cas d´une patiente présentant une polychondrite atrophiante neuf ans après le diagnostic du lupus avec une revue de la littérature. Ce rapport de cas respecte les directives CARE.

 

 

Patient et observation Up    Down

Information relative à la patiente: une femme de 44 ans, née au Maroc, allergique à la pénicilline, était suivie depuis 13 ans pour un LES.

Résultats cliniques: elle avait une polyarthrite des poignets et des coudes, un rash malaire, une biopsie cutanée faite révélant une dermite d'interface compatible avec un lupus. Sur le plan biologique, elle avait un syndrome inflammatoire biologique avec une vitesse de sédimentation accélérée à 56mm, une CRP négative, le complément C3 à 0.76g/l, un C4 à 0,16g/l, les anticorps antinucléaires étaient positifs à 1/2560 avec fluorescence homogène, les anti-DNA positifs et les anti-ECT négatifs. Les anti-CCP et le FR étaient négatifs. Elle n'avait pas d'atteinte rénale, la protéinurie de 24 heures négative et la créatinine à 6,3mg/l. La patiente n´avait pas de sérite, pas d´atteinte neuropsychiatrique, ni d´atteinte hématologique et la biologie anti-phospholipide était négative. Elle était traitée par de l'hydroxychloroquine à la dose de 6,5 mg/kg/jour au long cours et 10mg par jour de prednisone arrêtée après diminution progressive.

Chronologie: neuf ans après ce diagnostic, la patiente avait présenté une rougeur et une douleur oculaire bilatérale secondaire à une sclérite (Figure 1). Elle a présenté des polyarthralgies associées à des épisodes de chondrite des oreilles épargnant le lobule (Figure 2), dont la biopsie a montré une absence de granulome et un aspect compatible avec une PCA.

Démarche diagnostique: elle n´avait pas d´atteintes nasale, laryngo-trachéale ni cochléo-vestibulaire. Sur le plan biologique le dosage des anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) était négatif et l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA) normale. Les TDM ORL et thoracique n´objectivaient pas de sinusite, pas d´atteinte trachéale.

Intervention thérapeutique: le diagnostic de PCA avait été posé et ces poussées avaient été contrôlées par de la prednisone 0,5mg/kg/jour, soit 30mg par jour, avec décroissance progressive.

Suivi et résultats: actuellement, après un suivi de 4 ans, on ne note pas de récidive de poussée oculaire et cartilagineuse de la PCA; la patiente est en rémission du LES sous hydroxychloroquine à la dose de 400mg/jour.

Perspective et consentement éclairé du patient: la patiente est actuellement en rémission et a donné son consentement éclairé pour la publication de cet article.

 

 

Discussion Up    Down

La fréquence de la PCA associée au LES est peu décrite dans la littérature. Kitridou et al. rapportaient chez les patients lupiques une prévalence de 1% de la PCA [3]. Small et al. suggéraient à travers 2 cas de la littérature que la polychondrite devrait être considérée comme une présentation atypique du LES même si les poussées de chondrite n´étaient pas associées aux poussées typiques lupiques [4]. En 1994, Harisdangkul et al. avaient retrouvé à l´issue d´une revue de la littérature 16 cas de cette association dont le mécanisme physiopathologique sous-jacent est encore mal connu [5]. Le lien entre ces deux maladies pourrait s´expliquer par le lit de l'auto-immunité. L'origine auto-immune de la PCA décrite sur le plan physiopathologique résulterait de l´action des anticorps contre certains antigènes du cartilage encore inconnus. L'auto-immunité est suggérée par la présence du HLA DR4 présent dans 50% des cas; son association aux maladies auto-immunes dans 30% des cas; la présence d'anticorps anticollagène de type II dans 30% des cas et la présence de lymphocytes T CD4+, plasmocytes et de dépôts immuns dans les lésions de chondrite [1]. Notre patiente a une PCA dont le diagnostic répond aux critères de classification établis par Michet en 1986, qui demeurent pertinents et sont mentionnés par Puéchal et al. dans leurs travaux [1] et aux critères de classification du LES de l´ACR 1997, au moment du diagnostic, dont la mise à jour est faite en 2019 [2].

À ce jour, vingt-trois cas ont été décrits dans la littérature. Les caractéristiques de ces cas sont présentées dans le Tableau 1 [5-9], les 17 premiers ayant été décrits précédemment par Harisdangkul et al. [5]. La chronologie de survenue de la PCA chez les patients qui ont un LES n´est pas bien définie dans la littérature. Ce délai est long chez notre patiente, la PCA survenant après 9 années d'évolution en dehors d'une poussée lupique. Dans leur revue de la littérature, Harisdangkul et al. mentionnent les travaux de Marshall et de Small, qui rapportent également une longue durée d´évolution vers la rémission du LES, respectivement de 6 ans et 8 ans pour les cas 1 et 5. Concernant les autres cas, c´est la PCA qui a permis de mettre en évidence un LES associé à des anticorps spécifiques [5].

Le traitement de la PCA est individuel, fonction de l'atteinte clinique, mais associe globalement les anti-inflammatoires, la colchicine, la dapsone et surtout la corticothérapie à faible dose. Les principaux facteurs de mauvais pronostics sont l´atteinte respiratoire, l´association au syndrome myélodysplasique et les infections secondaires au traitement [1]. Le traitement du LES repose sur l'hydroxychloroquine, les corticoïdes, les immunosuppresseurs en fonction de l'atteinte d´organe dont les atteintes rénale, neuropsychiatrique et hématologique conditionnent le pronostic [10]. Notre patiente a été traitée par hydroxychloroquine et prednisone comme la majorité des patients et selon les recommandations adaptées et/ou en fonction de l´organe atteint et du degré de sévérité.

L'évolution de notre patiente était favorable au diagnostic après 4 ans de suivi, cependant des associations plus graves ont été décrites comme celles de Bellon et al. Ils avaient décrit le cas d'une patiente de 32 ans avec une microangiopathie thrombotique compliquée d´AVCI sylvien gauche révélant le LES associée à une PCA avec chondrite des oreilles et du nez. Sur le plan biologique elle avait une anémie à 11g/dL, une thrombopénie à 27 Giga/L), la présence de 6% de schizocytes, une haptoglobine indétectable, un taux de lactate déshydrogénase (LDH) élevé et un test de Coombs négatif, la recherche des anti-phospholipides était négatif, un taux d´ADAMS 13 bas, présence d´Ac anti ADAMS 13, les compléments C3 et C4 consommés, des FAN positifs à 1/1280 avec des Ac anti DNA, SSA et SSB positifs, une PCA avec chondrite du nez et des oreilles. Une amélioration a été notée après bolus de corticoïdes, échanges plasmatiques et traitement par rituximab [8]. Nous avons aussi les trois cas rapportés par Piette et al. ayant un syndrome des anti-phospholipides associé au LES - PCA [6].

 

 

Conclusion Up    Down

Nous avons rapporté le premier cas marocain présentant une association rare entre LES et PCA. Même si l´on ne sait pas encore ce qui constitue l´élément déclencheur de cette association ni quelle est la pathologie première qui fait le lit de la deuxième, cela souligne l´importance d´une surveillance réciproque pour détecter précocement la survenue de l'une ou l´autre de ces deux affections auto-immunes malgré leur rareté.

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Prise en charge des patients: Hicham Harmouche, Valentine Séréna Ndong et Ghita Taki. Collecte des données: Valentine Séréna Ndong et Ghita Taki. Rédaction du manuscrit: Valentine Séréna Ndong. Révision du manuscrit: Hicham Harmouche et Valentine Séréna Ndong. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Tableau et figures Up    Down

Tableau 1: association d'une polychondrite chronique atrophiante et d'un lupus érythémateux systémique chez 23 patients et notre cas

Figure 1: sclérite de l'œil droit à l'examen de la lampe à fente chez notre patiente

Figure 2: chondrite de l'oreille droite épargnant le lobule chez notre patiente

 

 

Références Up    Down

  1. Puéchal X, Terrier B, Mouthon L, Costedoat-Chalumeau N, Guillevin L, Le Jeunne C. Relapsing polychondritis. Joint Bone Spine. 2014 Mar;81(2):118-24 Epub 2014 Feb 18. PubMed | Google Scholar

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  3. Kitridou RC, Wittmann AL, Quismorio FP. Chondritis in systemic lupus erythematosus: clinical and immunopathologic studies. Clin Exp Rheumatol. 1987 Oct-Dec;5(4):349-53. PubMed | Google Scholar

  4. Small P, Frenkiel S. Relapsing polychondritis. Arthritis Rheum. 1980 Mar;23(3):361-3. PubMed

  5. Harisdangkul V, Johnson WW. Association between relapsing polychondritis and systemic lupus erythematosus. South Med J. 1994 Jul;87(7):753-7. PubMed | Google Scholar

  6. Piette JC, Papo T, Amoura Z, Blétry O, Marie L, Saada V et al. [Antiphospholipid syndrome and atrophic polychondritis]. Rev Med Interne. 1997;18(2):172-3. PubMed | Google Scholar

  7. Lenormand C, Scrivener Y. Relapsing polychondritis in a patient with lupus erythematosus: another manifestation of neutrophilic lupus? Dermatol Basel Switz. 2008;217(3):211 Epub 2008 Jul 1. Google Scholar

  8. Bellon N, Anguel N, Vandendries C, Goujard C, Lambotte O. Auricular chondritis and thrombotic microangiopathy: an unusual combination revealing systemic lupus erythematosus. Joint Bone Spine. 2013 Jul;80(4):424-5 Epub 2013 Jan 16. PubMed | Google Scholar

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