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Valvulopathies tricuspide et pulmonaire compliquant une tumeur carcinoïde: à propos d’une observation

Valvulopathies tricuspide et pulmonaire compliquant une tumeur carcinoïde: à propos d’une observation

 

Mouhamed Cherif Mboup1,&, Khadidiatou Dia1, Ppae Diadie Fall1

 

1Service de Cardiologie, Hôpital Principal de Dakar, 1 Avenue Nelson Mandéla, BP 3006, Dakar, Sénégal

 

 

&Auteur correspondant
Mouhamed Cherif Mboup, Service de Cardiologie, Hôpital Principal de Dakar, 1 Avenue Nelson Mandéla, BP 3006, Dakar, Sénégal

 

 

Résumé

Les auteurs rapportent le cas d’un patient de 38 ans présentant une maladie tricuspide et une maladie pulmonaire compliquant une tumeur carcinoïde. Le patient était asymptomatique sur le plan cardio-vasculaire. L’échodoppler cardiaque réalisée de manière systématique avait mis en évidence des lésions valvulaires typiques. Le pronostic de l’atteinte cardiaque au cours des tumeurs carcinoïdes a été largement amélioré par les progrès de la chirurgie cardiaque de remplacement valvulaire lorsqu’elle est réalisée précocement.

 

 

Introduction

Les tumeurs carcinoïdes (TC) sont des tumeurs neuroendocrines malignes caractérisées par une sécrétion excessive de sérotonine. L’atteinte cardiaque au cours des tumeurs carcinoïdes survient chez environ 40% des patients [1]. Elle est caractérisée par une atteinte prédominante (95%) des valves tricuspide et pulmonaire du cœur droit. L’atteinte des valves mitrale et aortique du cœur gauche et l’angine de poitrine par spasme coronaire survient chez environ 10% des patients. L’existence d’une cardiopathie carcinoïde est un événement pronostique majeur chez les malades atteints de syndrome carcinoïde. Cependant, le pronostic de ces patients a été largement amélioré par les progrès de la chirurgie cardiaque de remplacement valvulaire [2]. Nous décrivons le cas d’un patient de 38 ans présentant une maladie tricuspide et une maladie pulmonaire secondaire à une tumeur carcinoïde.

 

 

Patient et observation

Monsieur A N âgé de 38 ans a été hospitalisé dans notre service le 18/11/2011 pour des nodules hépatiques d’allure métastatique. Il n’a pas d’antécédents personnels ou familiaux particuliers. Il ne présentait aucun facteur de risque cardio-vasculaire. Sa symptomatologie remontait à environ 2 ans marquée par une diarrhée motrice post-prandiale précoce, sans sang ni glaire ni vomissement. Elle était précédée de flush à type de sensation de congestion faciale et de palpitations. Ce tableau évoluait dans un contexte d’altération de l’état général avec un amaigrissement de 8 kilos en un an, une anorexie non sélective et une asthénie physique. Il n’y avait pas de dyspnée ni de douleur thoracique. L’examen physique retrouvait une hépatomégalie ferme à surface antérieure lisse et bord inférieur mousse sans splénomégalie. Les aires ganglionnaires étaient libres. L’auscultation cardiaque retrouvait un souffle systolique intense au niveau des foyers tricuspide et pulmonaire. Le bilan hépatique, l’hémogramme, la fonction rénale, le protidogramme, et l’alpha-foeto-protéine étaient normaux. L’imagerie par résonance magnétique hépatique mettait en évidence de multiples lésions solides du parenchyme, hétérogènes et hypervascularisées. La biopsie de ces lésions hépatiques retrouvait une prolifération tumorale faite de travées, de cordons et de rares aspect glandulaire avec des cellules ayant un cytoplasme éosinophile et un noyau présentant un pléomorphisme modéré. A l’immunohistochimie, la chromogranine, le N-CAM et la synaptophysine étaient positifs confirmant le diagnostique de tumeur neuroendocrine. La sérotonine et la chromogranine plasmatique étaient élevées à respectivement 2320 µg/l et 5820 ng/l. La coloscopie et l’endoscopie digestive haute n’avaient pas retrouvé la tumeur primitive.

 

Sur le plan cardiaque, l’électrocardiogramme inscrivait un bloc incomplet droit de type hypertrophie ventriculaire droite. L’échodoppler cardiaque trans-thoracique confirmait la cardiopathie carcinoïde en mettant en évidence une atteinte des valves tricuspides qui étaient épaissies avec restriction du mouvement du feuillet septal (Figure 1), une sténose tricuspidienne avec un gradient moyen à 5 mmHg, et une insuffisance tricuspidienne importante (Figure 2). Les valves pulmonaires étaient également atteintes sous forme d’une maladie pulmonaire avec un gradient trans-valvulaire moyen à 29 mmHg (Figure 3). Les cavités droites étaient dilatées mais avec une fonction systolique longitudinale du ventricule droit normale (TAPSE à 20.6 mm). L’échocardiographie de contraste aux bulles n’avait pas mis en évidence un foramen ovale perméable (Figure 4). Les cavités cardiaques gauches et les valves aortique et mitrale étaient normales.

 

Sur le plan thérapeutique, le patient a bénéficié de 4 cures de chimiothérapie palliative selon le protocole LV5 FU2 (5-Fluoro-uracile associé à l’acide folinique). On notait un aspect de réponse sur quelques lésions hépatiques. Au plan biologique, la sérotonine et la chromogranine plasmatique avaient légèrement diminué à respectivement 1973 µg/l et 5711 ng/l. Le patient a été référé au service de chirurgie cardiaque en vue d’un double remplacement valvulaire tricuspide et pulmonaire.

 

 

Discussion

Les tumeurs carcinoïdes sont rares avec une incidence estimée à 1,2 à 2,1/100000 dans la population générale [3]. Elles siègent dans 90% des cas au niveau du tractus digestif, et en particulier au niveau de l’appendice ou de l’iléon, les autres localisations (bronches, rein, ovaire) étant beaucoup plus rares [1]. En 1954, Thorson et al ont rapporté la première série de tumeurs carcinoïdes malignes de l´intestin grêle avec métastases hépatiques [4]. La tumeur carcinoïde secrète plus de 20 substances humorales dont les plus importantes sont la sérotonine, l´histamine et la kinine peptide. Cependant ces substances vasoactives sont rapidement inactivées par le foie. L’atteinte cardiaque suppose l’existence de métastases hépatiques sécrétantes ou d’une tumeur carcinoïde localisée dans une zone non drainée par le système porte comme au niveau ovarien. Classiquement, le syndrome carcinoïde est caractérisé par des flushes du visage, du bronchospasme, de la diarrhée, et des lésions valvulaires du cœur droit. Les manifestations cliniques de l’atteinte cardiaque au cours du syndrome carcinoïde sont souvent subtiles malgré des lésions valvulaires sévères. Le délai médian entre le début des symptômes et le diagnostic de la cardiopathie carcinoïde est de 2 ans mais peut atteindre 5 ans. L’atteinte cardiaque doit être systématiquement recherchée par un interrogatoire minutieux à la recherche de symptômes non spécifiques (dyspnée, douleur thoracique) et un examen physique qui peut retrouver à un stade tardif des signes d’insuffisance cardiaque droite (œdème, turgescence des veines jugulaires, hépatomégalie) [5]. L’électrocardiogramme est normal dans 50% des cas, mais peut retrouver comme chez notre patient des anomalies à type de bloc de branche droit, d’onde P pulmonaire, de tachycardie sinusale ou de fibrillation auriculaire. Les dosages biologiques des dérivés urinaires de la sérotonine (5-hydroxyindoleacetic acid : 5HIAA) confirment l’existence d’un syndrome carcinoïde avec une sensibilité de 100% et une spécificité de 88%. Des taux très élevés de 5HIAA constituent un facteur pronostic péjoratif [6]. La chromogranine plasmatique dosée chez notre patient constitue un outil diagnostique, et un important marqueur du contrôle hormonal de la tumeur préalable à toute chirurgie de remplacement valvulaire cardiaque.

 

L’échocardiographie trans-thoracique pose le diagnostic en retrouvant une atteinte valvulaire typique. L’insuffisance tricuspide est présente chez presque tous les patients (97% des cas), la sténose tricuspide chez 59% des patients, l’insuffisance pulmonaire et la sténose pulmonaire chez respectivement 50% et 25% des patients. L’échocardiographie retrouve des valves tricuspides épaissies, rigides et immobiles à l’origine d’une fuite souvent sévère et plus rarement d’une sténose. L’évaluation des lésions de la valve pulmonaire est plus délicate et peut nécessiter le recours à l’échographie trans-oesophagienne. Les cavités droites peuvent être dilatées ou hypertrophiées avec ou sans dysfonction ventriculaire droite. L’échocardiographie de contraste aux bulles recherche un foramen ovale perméable. Les cavités cardiaques gauches sont plus rarement atteintes (10%) avec un épaississement et une rétraction des valves responsables de fuites valvulaires et exceptionnellement de sténoses [7].

 

Sur le plan thérapeutique, on distingue le traitement du syndrome carcinoïde et celui de la cardiopathie, qu’il soit médical ou chirurgical. La prise en charge du syndrome carcinoïde repose sur la chimiothérapie (interféron alpha, doxorubicine, 5FU), la chimioembolisation artérielle hépatique et surtout les analogues de la somatostatine [5]. Le remplacement valvulaire constitue le seul traitement curatif efficace de l’atteinte cardiaque au cours du syndrome carcinoïde. L’amélioration de la mortalité opératoire à 9% permet de le proposer précocement comme chez notre malade, à des patients pauci-symptomatiques [8].

 

 

Conclusion

L’atteinte cardiaque constitue une complication fréquente des tumeurs carcinoïdes. Elle est caractérisée par une atteinte prédominante des valves tricuspide et pulmonaire du cœur droit. Les manifestations cardiaques au cours du syndrome carcinoïde sont souvent subtiles malgré des lésions valvulaires sévères. C’est dire tout l’intérêt d’un dépistage systématique par la réalisation d’une échodoppler cardiaque permettant de retrouver des lésions valvulaires typiques. Le remplacement valvulaire proposé précocement à des patients pauci-symptomatique permet d’améliorer le pronostic de l’atteinte cardiaque au cours des tumeurs carcinoïdes.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.

 

 

Contributions des auteurs

Tous les auteurs ont contribué à la conduite de ce travail. Tous les auteurs déclarent également avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures

Figure 1: dilatation des cavités droites avec des valves tricuspides épaissies (diamètre du feuillet septal à 6 mm)

Figure 2: maladie tricuspide associant une sténose avec un gradient moyen à 5 mmHg et une insuffisance tricuspide

Figure 3: flux de sténose pulmonaire en doppler continu avec un gradient moyen à 29 mmHg

Figure 4: absence de foramen ovale perméable lors de l’épreuve de contraste aux bulles

 

 

Références

  1. Palaniswamy C, Frishman WH, Aronow WS. Carcinoid Heart Disease. Cardiology in Review. 2012; 20 (4): 167–176. PubMed | Google Scholar

  2. Castillo JG, Filsoufi F, Rahmanian BP. Early and Late Results of Valvular Surgery for Carcinoid Heart Disease. JACC. 2008;51(15):1507–11. PubMed | Google Scholar

  3. Modlin IM, Sandor A. An analysis of 8305 cases of carcinoid tumors. Cancer. 1997;79(4):813–829. PubMed | Google Scholar

  4. Thorson A, Biorck G, Bjorkman G et al. Malignant carcinoid of the small intestine with metastasis to the liver, valvular disease of the right side of the heart (pulmonary stenosis and tricuspid regurgitation without septal defects), peripheral vasomotor symptoms, bronchoconstriction, and an unusual type of cyanosis: a clinical and pathologic syndrome. Am Heart J. 1954;47(5):795–817. PubMed | Google Scholar

  5. Gustafsson BI, Hauso O, Drozdov I et al. Carcinoid heart disease. International Journal of Cardiology. 2008;129(3):318–324. PubMed | Google Scholar

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  8. Moller JE, Pellikka PA, Bernheim AM et al. Prognosis of carcinoid heart disease: analysis of 200 cases over two decades. Circulation. 2005;112(21): 3320–7. PubMed | Google Scholar