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Aspects étiologiques des accidents vasculaires cérébraux ischémiques au Sénégal

Aspects étiologiques des accidents vasculaires cérébraux ischémiques au Sénégal

 

Mouhamed Cherif Mboup1,&, Simon Antoine Sarr1, Khadidiatou Dia1, Ppae Diadie Fall1

 

1Service de Cardiologie, Hôpital Principal de Dakar, Sénégal

 

 

&Auteur correspondant
Mouhamed Cherif MBOUP, Service de Cardiologie, Hôpital Principal de Dakar, Sénégal

 

 

Résumé

Introduction: les objectifs de ce travail étaient de décrire les différentes étiologies retrouvées chez les patients hospitalisés pour un accident ischémique cérébral constitué (AICC).

 

Méthodes: nous avons mené une étude rétrospective au niveau du service de cardiologie de l'hôpital Principal de Dakar entre janvier 2008 et décembre 2009. Nous avons inclus tous les patients hospitalisés pour un AVCI confirmé par le scanner ou l'IRM cérébrale. L'électrocardiogramme (ECG) et l'échocardiographie transthoracique ont été réalisés systématiquement chez tous les patients. L'Holter ECG, l'échodoppler des vaisseaux du cou et l'échocardiographie transoesophagienne ont été pratiqués optionnellement.

 

Résultats: nous avons inclus 100 patients dans notre travail. L'âge moyen des malades était de 63.48 ± 15.85 ans avec une prédominance masculine (60 %). Les facteurs de risque cardio-vasculaire étaient dominés par l'hypertension artérielle retrouvée chez 71% des patients. Vingt et un patients avaient des antécédents d'AVCI. Les cardiopathies emboligènes (27%) constituent la deuxième étiologie la plus fréquemment retrouvées chez nos patients. La fibrillation auriculaire et le rétrécissement mitral ont été mis en évidence chez respectivement 17 et 6 patients. Les autres étiologies rencontrées selon la classification de TOAST sont les AVCI lacunaires chez 10 patients, l'athérome des troncs supra-aortiques et les AVCI cryptogéniques chez respectivement 3 et 60 patients.

 

Conclusion: les étiologies des accidents vasculaires cérébraux ischémiques sont dominées par les cardiopathies emboligénes et les causes cryptogéniques. C'est dire tout l'intérêt d'un bilan cardio-vasculaire approfondi dans la prise en charge de ces patients.

 

 

Introduction

Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l'accident vasculaire cérébral (AVC) se définit comme « le développement rapide de signes localisés ou globaux de dysfonction cérébrale avec des symptômes durant plus de 24 heures, pouvant conduire à la mort, sans autre cause apparente qu'une origine vasculaire ». L'AVC est divisé en deux groupes de pathologies: les Accidents Vasculaires Cérébraux Ischémiques (AVCI) comprenant l'Accident ischémique transitoire (AIT), l'infarctus cérébral constitué ou Accident Ischémique Cérébral Constitué (AICC); les Accidents Vasculaires Cérébraux Hémorragiques (AVCH) constitués de l'hémorragie cérébrale et l'hémorragie sous-arachnoïdienne. Les accidents vasculaires cérébraux constituent en France comme dans les autres pays industrialisés la troisième cause de mortalité après les cancers et les affections cardio-vasculaires [1]. Au Sénégal, les AVC sont au premier rang des affections neurologiques. Ils constituent plus de 30% des hospitalisations et sont responsables de 2/3de la mortalité dans le service de neurologie à Dakar [2]. Cependant, des progrès spectaculaires dans la prise en charge ont été réalisés au cours de ces dernières années, aussi bien sur le plan : diagnostique, grâce à l'avènement du scanner et surtout de la résonance magnétique nucléaire, et l'amélioration des techniques d'échographie-doppler des vaisseaux du cou; que thérapeutique, avec l'utilisation de la thrombolyse, de la chirurgie, du traitement endo-vasculaire et le développement des unités spécialisées dans la prise en charge des AVC (Stroke-units).

 

Les AICC regroupent de multiples étiologies dont les plus fréquentes sont: l'athérosclérose des artères à destinée cérébrale, les cardiopathies emboligènes, les petits infarctus profonds (lacunes). D'autres sont plus rares, telles que la dissection des artères du cou, les maladies inflammatoires, infectieuses et les hémopathies. Par ailleurs, après multiples explorations, il est possible qu'aucune étiologie spécifique ne soit retrouvée; il s'agit alors d'un AICC cryptogénique. L'objectif de ce travail est de décrire les différents aspects étiologiques des accidents vasculaires cérébraux ischémiques constitués au niveau de l'Hôpital Principal de Dakar, au Sénégal.

 

 

Méthodes

Il s'agit d'une étude rétrospective descriptive sur une période de deux ans: du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009. Nous avons inclus tous les patients hospitalisés au niveau du service de cardiologie de l'hôpital principal de Dakar pour un accident vasculaire cérébral ischémique confirmé par le scanner cérébral ou par l'imagerie par résonnance magnétique et qui ont bénéficié d'un bilan minimal qui comprenait un électrocardiogramme (ECG) et une échographie cardiaque. Nous avons exclus de l'étude ceux qui présentaient un accident ischémique transitoire, un accident vasculaire cérébral hémorragique ou qui n'avaient pas bénéficié d'un ECG et d'une échocardiographie. Nous avons évalué l'âge, le sexe et les facteurs de risque cardio-vasculaire classiques: tabagisme, hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie, obésité. L'électrocardiogramme et l'échodoppler cardiaque étaient réalisés de manière systématique à la recherche d'une cardiopathie emboligène. Lorsque ce bilan de première intention était normale et en l'absence d'étiologie évidente, l'échographie transoesophagienne pouvait être réalisée à la recherche: Un athérome de la crosse de l'aorte, un thrombus ou un contraste de l'auricule gauche, un foramen ovale perméable, un anévrysme du septum inter-auriculaire. Nous avons recherché une fibrillation atriale ou un flutter paroxystique à l'holter ECG. L'Echographie-Doppler des troncs supra-aortiques était réalisée à la recherche d'une sténose carotidienne supérieure à 50%, d'une occlusion ou d'une thrombose carotidienne, d'une dissection des artères cervicales. Au terme de ce bilan, on a aboutit à une classification étiologique selon les critères de TOAST [3] qui distingue 5 grands groupes étiologiques: athérome des gros troncs supra-aortiques, les cardiopathies emboligénes, les lacunes ischémiques, les autres causes telles qu'une dissection artérielle cervicale ou une affection hématologique, et les AVCI d'étiologie indéterminée. L'analyse statistique était réalisée avec le logiciel SPSS « Statistical Package for the SocialSciences » version 14.0.1. Les variables quantitatives sont exprimées en valeur moyenne ± écart-type. Les variables qualitatives sont exprimées en pourcentage.

 

 

Résultats

Cent patients ont été inclus dans notre travail. L'âge moyen de nos patients était de 63.48 ± 15.85 ans avec des extrêmes de 23 et 90 ans. Huit patients (8%) avaient présenté un accident vasculaire cérébral ischémique du sujet jeune avec un âge inférieur à 40 ans. Soixante patients (60%) étaient de sexe masculin et quarante (40%) de sexe féminin soit un ratio homme / femme de 1.5. Les caractéristiques cliniques et les antécédents des patients sont résumés au niveau du Tableau 1 . Les facteurs de risque cardio-vasculaires sont dominés par l'hypertension artérielle présente chez 71 patients. Un tabagisme était retrouvé chez 18 patients exclusivement de sexe masculin. Il s'agissait d'un tabagisme actif pour tous ces patients. Soixante quatre patients avaient au moins deux facteurs de risque cardio-vasculaire majeur. Un antécédent d'accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorragique était retrouvé chez respectivement 21 et 01 patients. L'électrocardiogramme avait mis en évidence une fibrillation ou un flutter auriculaire chez respectivement 11 et 04 patients. L'échodoppler cardiaque trans-thoracique avait retrouvé un rétrécissement mitral dans 6 cas, une prothèse mitrale ou aortique dans 05 cas, une cardiomyopathie dilaté dans 04 cas, une végétation aortique, un contraste spontané et un thrombus intra-ventriculaire gauche dans respectivement 3 et 2 cas. L'échographie trans-œsophagienne réalisée chez 13 patients, avait mis en évidence un cas d'athérome de la crosse de l'aorte. L'enregistrement Holter-ECG de 24h réalisé chez 58 patients avait retrouvé une fibrillation et un flutter auriculaire respectivement chez 6 et 2 patients. L'échographie des troncs supra-aortiques réalisée chez 60 patients avait mis en évidence une sténose > 70% au niveau du bulbe et de la carotide interne respectivement dans 2 et 4 des cas. Au terme de ce bilan et selon la classification de TOAST quatre groupes étiologiques avaient été mis en évidence (Figure 1). Les accidents vasculaires cérébraux ischémiques d'origine cardio-embolique retrouvés chez 27 patients sont répertoriés en fonction du sexe au niveau du Tableau 2 Soixante (60) patients avaient un AICC cryptogénique, dont 27 de sexe féminin et 33 de sexe masculin. Aucune étiologie n'avait été retrouvée chez 52 de ces patients. Cependant la présence de certains facteurs de risque cardio-vasculaire avait été notée, à savoir l'HTA (38 patients), le diabète (15), la sédentarité (17), les dyslipidémies (12), le tabagisme (10). Chez les 8 autres nous avions mis en évidence plusieurs causes potentielles dont 5 patients avec une étiologie cardio-embolique et lacunaire, 2 patients avec une étiologie lacunaire et athéromateuse, et une patiente avec une étiologie cardio-embolique et athéromateuse.

 

 

Discussion

Au Sénégal, les AVC constituent le premier groupe nosologique des affections neurologiques. L'AICC est caractérisé dans notre travail par la précocité de sa survenue avec un âge moyen à 63.48 ± 15.85 ans similaire à celui retrouvé par Bendriss et al au Maroc 60,8 ± 12,14 ans [4]. Dans les pays développés, les AICC surviennent 10 ans plus tard avec un âge moyen de 73.7± 1.0 et 73.1 ± 11.9 ans respectivement au Japon et au Norvège [5,6]. Cette disparité semble liée à l'espérance de vie plus élevée dans les pays industrialisés et aux facteurs étiologiques qui concourent à la survenue des AICC. L'hypertension artérielle (HTA) a été retrouvée chez 71% de nos patients. Les résultats que nous avons obtenus s'accordent avec les données des études qui montrent que l'HTA est le facteur de risque modifiable le plus représenté dans la survenue des AICC [4-7]. En effet l'HTA multiplie le risque d'infarctus cérébral par 4 et d'hémorragie par 10 [8]. Les AICC d'origine cardio-embolique constituent la 2e étiologie la plus fréquemment retrouvée chez nos patients (27%). Au Maroc Bendriss et al [4] avaient retrouvés 20 cas (18%) AICC cardio-embolique. Thurin et al au Japon et Armin et al en Allemagne avaient mis en évidence respectivement 22.9% et 25.7% cas d'AICC d'origine cardio-embolique [6,9]. Les étiologies cardio-emboliques restent dominer par les troubles du rythme supra-ventriculaires (fibrillation et flutter atrial) retrouvés chez 15 de nos patients et les valvulopathies d'origine rhumatismale dans 10% des cas. La fibrillation atriale est une pathologie fréquente, elle touche de 1% à 2% de la population adulte. Sa prévalence augmente avec l'âge passant de 0.5% entre 40-50 ans à 15% au delà de 80 ans [10]. C'est la principale étiologie des AICC d'origine cardio-embolique, sa responsabilité est retenue dans 1 cas sur 2. Le risque d'AVC est 5 fois plus élevé par rapport à la population générale. Il est multiplié par 17 en cas de valvulopathies rhumatismales associées. En Allemagne dans le travail d'Armin et al [9] une fibrillation atriale avait été mise en évidence chez 56 patients (24%). Contrairement à notre étude où on a retrouvé 15% et dans le travail de SAGGY et al 12% [7] de fibrillation atriale. Cette disparité reste essentiellement liée à l'âge des patients avec une moyenne de 73± 11.9 ans en Allemagne [9] et 63.48 ± 15.85 ans au Sénégal. Les valvulopathies constituent une cause fréquente d'AICC d'origine cardio-embolique dans notre travail. Elles surviennent chez des patients jeunes et actifs s'accompagnant d'un important retentissement sur le professionnel, économique et surtout social. Les AICC d'origine lacunaire ou athéro-embolique sont peu rencontrés chez nos patients respectivement 10% et 3%. Au Maroc, ces deux groupes étaient retrouvés respectivement dans 39 et 28% des cas en rapport avec une forte prévalence du diabète (41.8%) et du tabagisme (35.4%) [4]. En effet, le diabète constitue avec l'hypertension artérielle les principaux facteurs de risque d'AICC lacunaire, tandis l'athérosclérose des gros troncs supra-aortiques restent fortement liée au tabagisme actif [9]. Les AICC cryptogéniques constituent la première entité étiologique retrouvée dans notre étude (60%). Ce taux est largement supérieur à celui de Bendriss et al [4] et à ceux de Armen [9] qui avaient retrouvé respectivement 14.5% et 25%. L'amélioration de la recherche étiologique par une indication plus large de l'échographie trans-'sophagienne, de l'échographie des troncs supra-aortiques voire du HOLTER ECG permettrait de réduire le taux d'AICC cryptogéniques chez nos patients.

 

 

Conclusion

Les accidents vasculaires cérébraux constituent une pathologie fréquente et grave. Elles sont caractérisées au Sénégal par la précocité de leur survenue et la prépondérance de l'hypertension artérielle parmi les facteurs de risque cardio-vasculaire. Les AICC cryptogéniques constituent la première entité étiologique avec une forte prévalence de l'hypertension artérielle chez ces patients. C'est dire tout l'intérêt d'une recherche étiologique approfondie par un bilan cardio-vasculaire exhaustive. La fibrillation auriculaire et les valvulopathies constituent le deuxième groupe étiologique. La prévention des AICC au Sénégal passe par un dépistage et une prise en charge efficiente de l'HTA mais aussi par la lutte contre l'endémie rhumatismale.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêt.

 

 

Contributions des auteurs

Tous les auteurs ont contribué à la conduite de ce travail. Tous les auteurs déclarent également avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Tableaux et figure

Tableau 1: caractéristiques cliniques des patients

Tableau 2: étiologies cardio-emboliques

Figure 1: répartition des étiologies: cardio-embolique: 27; athéro-embolique: 3; lacunaire: 10; cryptogénique: 60

 

 

Références

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