Home | Volume 21 | Article number 47

Original article

La dysfonction érectile chez l’hypertendu togolais: étude transversale chez 100 patients dans le Service de Cardiologie du CHU Campus de Lomé

La dysfonction érectile chez l’hypertendu togolais: étude transversale chez 100 patients dans le Service de Cardiologie du CHU Campus de Lomé

 

Soulemane Pessinaba1,&, Soodougoua Baragou1, Machihude Pio2, Kevin Tengué3, Yaovi Afassinou2, Matchona Kpatcha3, Madikizi Awisoba1, Mouhamed Kpélafia1, NKenon Watani Nda1, Findibé Damorou1

 

1Service de Cardiologie, CHU Campus, 03BP: 30284, Lomé, Togo, 2Service de Cardiologie, CHU Sylvanus Olympio, Lomé, Togo, 3Service d’Urologie, CHU Sylvanus Olympio, Lomé, Togo

 

 

&Auteur correspondant
Soulemane Pessinaba, Service de Cardiologie, CHU Campus, 03BP: 30284 Lomé, Togo

 

 

Résumé

Introduction: l'association HTA et dysfonction érectile (DE) est connue. Les objectifs de ce travail étaient de déterminer la prévalence de la DE et d'en évaluer la sévérité chez l'hypertendu togolais.

 

Méthodes: il s'agit d'une étude transversale menée chez 100 hypertendus reçus en consultations externes dans le service cardiologie du CHU Campus d'octobre à décembre 2012. Le statut érectile a été évalué avec l'international index of erectile function (IIEF-5).

 

Résultats: l'âge moyen des hypertendus était de 53,3 ± 10,3 ans. La durée moyenne de l'HTA était de 6,7 ± 6,9 ans. Les facteurs de risque cardio-vasculaire retrouvés chez ces hypertendus étaient: diabète (7%), obésité (17,5%), obésité abdominale (40%), dyslipidémie (36%) et tabac (1%). La prévalence de la DE était de 53% dont 32% de DE légère, 18% de DE modérée et 3% de DE sévère. Parmi les patients ayant une DE, 60% avaient une DE légère, 34% une DE modérée et 6% une DE sévère. Le score IIFE moyen était de 19,1 ± 5,2. La prévalence de la DE augmentait avec l'âge (p=0,05), le grade (p=0,004) et la durée de l'HTA (p=0,20). La DE était significativement plus fréquente en présence du diabète (p = 0,02) et de l'obésité abdominale (p=0,007).

 

Conclusion: la prévalence de la DE est élevée chez l'hypertendu togolais. Cette prévalence augmente avec l'âge, la durée de l'HTA, la présence de diabète et l'obésité abdominale. La DE doit être systématiquement recherchée chez l'hypertendu surtout en présence des autres FDR.

 

 

Introduction

La dysfonction érectile (DE) est une pathologie fréquente. Sa prévalence était de 52% chez les hommes âgés de 40 à 70 ans dans l'étude "Massachusetts Male Aging Study" [1]. En 1995, on estimait que la DE affectait 152 millions d'hommes dans le monde. En 2025, elle toucherait 322 millions d'hommes avec une large augmentation dans les pays en développement notamment en Afrique, Asie et Amérique du Sud [2]. L'hypertension artérielle (HTA), un facteur de risque indépendant de DE touche actuellement environ 27 à 28% de la population adulte âgée de 20 ans et plus en Afrique subsaharienne; environ 80 millions de patients souffraient d'HTA en 2000, et selon les projections épidémiologiques ils seront 150 millions en 2025 [3,4]. Au Togo, l'HTA représentait 36,7% dans la population générale à Lomé [5] et 74,29% des admissions dans le service de cardiologie du CHU Campus chez les sujets de plus de 50 ans [6]. L'association HTA et DE est bien connue. A l'inverse, les traitements anti-hypertenseurs peuvent favoriser la survenue d'une dysfonction érectile, ce qui rend parfois difficile l'observance thérapeutique des hypertendus. La prévalence de la DE est significativement plus élevée chez les hommes hypertendus que dans la population générale [7-9]. Les objectifs de ce travail étaient de déterminer la prévalence de la DE et d'en évaluer la sévérité chez l'hypertendu togolais.

 

 

Méthodes

Nous avons mené une étude transversale et descriptive chez 100 patients reçus en consultations externes dans le service cardiologie du CHU Campus d'octobre à décembre 2012 pour HTA. Ont été inclus les patients connus hypertendus depuis au moins un an et ayant donné un consentement verbal à participer à l'étude. Les critères d'exclusion avaient été définis comme suit: antécédents de dysfonction myocardique documentée avec une fraction d'éjection du ventricule gauche inférieure à 50%; antécédents de chirurgie pelvienne, urologique ou colorectale; antécédents d'irradiation pelvienne et/ou antécédents de pathologie neurologique de quelque nature que ce soit; et le refus de participer à l'étude

 

Pour chaque patient, les données suivantes ont été relevées: l'ancienneté, la sévérité de l'HTA et traitement en cours; l'âge, le poids, l'indice de masse corporelle (IMC) et le périmètre abdominal (PA); l'existence d'autres facteurs de risque cardiovasculaires tels que le tabagisme, la dyslipidémie, le diabète et l'obésité.

 

Pour évaluer le statut érectile, nous avons utilisé le questionnaire international index of erectile function (IIEF-5) [10]. Après dépouillement des questionnaires, l'intensité de la DE était finalement répertoriée de façon objective selon quatre classes: « pas de DE » entre 21 et 25 inclus, «DE légère» inférieure à 21, « DE modérée » inférieure à 17 et «DE sévère» inférieure à 10 [11]. L'analyse statistique des données a été faite à l'aide du logiciel Epi info dans sa version 3.5.1. Le test de khi2 ou Fisher exact a été utilisé pour comparer les proportions et le test de Student pour la comparaison des moyennes. Une valeur de p < 0,05 à a été considéré comme statistiquement significative.

 

 

Résultats

L'âge moyen des 100 patients était de 53,3 ± 10,3 ans avec des extrêmes de 30 et 78 ans. Les tranches de 40 à 50 ans et de 50 à 60 ans étaient les plus représentées. Le Tableau 1 regroupe les caractéristiques générales des patients. Sur les 100 patients, 98 étaient mariés et 02 étaient célibataires. La durée moyenne d'évolution de l'HTA était de 6,7± 6,9 ans (extrêmes: 1 et 33 ans). La moitié des patients avait une durée d'HTA entre 1 et 5 ans. La Figure 1 illustre la répartition de la population en fonction de la durée de la maladie. En fonction de la sévérité de l'HTA les proportions étaient suivantes: 6% Pression artérielle normalisée, 37% (HTA grade I), 35% (HTA grade II) et 22% (HTA grade III). Les autres facteurs de risque cardiovasculaire sont représentés dans le Tableau 2. Après étude et analyse du questionnaire rempli par les patients, nous avons obtenus les résultats représentés sur la Figure 2. Au total, 53% des patients présentaient une DE. La DE légère et la DE modérée représentent la moitié de la population. Parmi les patients ayant une DE: 60% avaient une DE légère, 34% une DE modérée et 6% une DE sévère. Le score IIFE moyen était de 19,3 ± 4,8 avec un minimum de 1 et 25. Ce score IIFE diminuait de façon progressive avec l'âge (p = 0,05), le grade de l'HTA (p = 0,004) et avec la durée de l'HTA (p = 0,20). La prévalence de la DE augmentait avec la durée d'évolution et le grade de l'HTA et au fur et à mesure que l'âge des patients augmentait (Tableau 3). L'HTA sévère était retrouvé dans 14% des cas en l'absence de DE, dans 25% des cas de DE légère, dans 27,8% des cas de DE modérée et dans 100% des cas de DE sévère. En somme tous les cas de DE sévère avaient une HTA grade III. La présence du diabète ou de l'obésité en plus de l'HTA augmentait significativement la prévalence de la DE. Le Tableau 4 montre les proportions de la DE en présence ou non des autres facteurs de risque. Chez les patients diabétiques, 14,3% ne présentaient pas de DE, 42,9 % présentaient une DE légère, 14,3% présentaient une DE modérée et 28,6% présentaient une DE sévère. La prévalence de la DE augmentait avec la valeur de l'IMC comme le montre la Figure 3.

 

 

Discussion

Cette étude a été réalisée en vue d'évaluer la prévalence de la DE qui est souvent ignorée par le corps médical malgré son importance et son impact sur la qualité de vie des patients. Au terme de notre travail, nous pouvons évoquer les difficultés suivantes: la pudeur: les questions étaient basées sur la vie sexuelle de nos patients, ce qui quelquefois les embarrassaient et pourraient influencer leur réponse; la nature du questionnaire: un questionnaire avec des propositions fermées ne trouve pas toujours d'équivalence avec les réponses des patients; la non maitrise parfaite du français chez certains de nos patients: ce qui a pu créer des biais d'interprétation.

 

Néanmoins, cette étude présente également des intérêts car elle est la première du genre réalisée en milieu hospitalier au Togo. Et elle s'est dotée d'un questionnaire internationalement reconnu pour l'évaluation et l'appréciation de la fonction érectile des hommes. La prévalence de la DE dans notre population était de 53%. Cette prévalence se situe dans la fourchette de celles retrouvées dans d'autres études chez les hypertendus. Au Qatar, la prévalence de la DE était de 66,2% chez 296 hypertendus [12]. Guiliano et al. en France retrouvaient 61% chez 3906 patients hypertendus [7]. D'autres études avaient retrouvé des prévalences légèrement inférieures à la notre; notamment en Egypte dans une étude multicentrique nationale la prévalence était de 43,2% [13] quand elle était de 45,8% dans une autre étude multicentrique espagnole incluant 2130 hypertendus [14]. Ces études varient dans leur qualité, car elles utilisent différentes définitions de la DE, différentes réponses aux questionnaires et interviews, des disparités culturelles pour discuter des problèmes sexuels et des interprétations différentes des résultats. Malgré les différences dans les prévalences de la DE érectile chez les hypertendus, la plupart des études ont montré une prévalence plus élevée chez les hypertendus que les normotendus. Dans une autre étude réalisée par Cordier et al. chez les patients insuffisant coronariens, la prévalence de la DE était de 0,82 avant la survenue de l'événement coronariens [15]. Ceci confirme le fait que la DE érectile un important marqueur du risque vasculaire.

 

Comme cela a été retrouvé par Bener et al. au Qatar [12], la prévalence de la DE augmentait avec la durée et la sévérité de l'HTA dans notre travail. Ceci traduit l'impacte de l'HTA sur l'altération de la fonction érectile. De même, le score moyen de l'IIFE était significativement plus bas dans notre travail comme dans celui de Bener et al. [12]. La prévalence de la DE augmentait avec l'âge de nos patients hypertendus. Ce même résultat a été noté dans les travaux réalisés au Qatar et en Espagne [12,13]. Ce constat n'est pas particulier aux hypertendus puisse que des études en population générale ou chez les sujets normotendus montrent également une corrélation entre l'âge et la DE [16]. Le diabète, l'obésité, les dyslipidémies et le tabac sont connus comme étant de puissants facteurs de risque cardiovasculaire. La présence du diabète, de la dyslipidémie et de l'obésité chez nos patients hypertendus augmentait significativement la prévalence de la DE. Cet effet délétère et synergique de ces facteurs de risque sur la fonction érectile a été retrouvé dans plusieurs d'autres études [8,12]. Le taux de tabagisme faible dans notre étude ne permettait d'analyser sa relation avec la DE.

 

 

Conclusion

La prévalence de la DE est élevée chez l'hypertendus togolais. La DE est le plus souvent légère à modérée et est d'autant plus sévère que le garde de l'HTA augmente. Cette prévalence augmente avec l'âge, la durée d'évolution et le grade de l'HTA; et avec la présence des autres facteurs de risque cardiovasculaire. Il s'avère donc important de rechercher systématiquement une DE chez nos patients hypertendus surtout lorsqu'il s'agit d'une HTA sévère et/ou associée aux autres facteurs de risque cardiovasculaire.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

 

 

Contributions des auteurs

Soulemane Pessinaba, A. Awisoba, Findibé Damorou: ont initié rédigé et participé à la rédaction finale de cet travail. Soodougoua Baragou, Machihude Pio, Kevin Tengué: ont participé à la collecte des données et la relecture de l'article. Yaovi Afassinou, Mouhamed Kpélafia, NKenon Watani Nda, Fabrice Kpatcha: ont participé à la collecte et l'analyse des données. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Tableaux et figures

Tableau 1: caractéristiques générales des patients

Tableau 2: prévalence des autres facteurs de risque cardiovasculaire

Tableau 3: prévalence de la dysfonction érectile et l’IIFE moyen en fonction de la tranche d’âge, du grade et de la durée d’évolution de l’HTA

Tableau 4: prévalence de la DE en fonction de présence ou non des autres facteurs de risque cardio-vasculaire

Figure 1: répartition des patients en fonction de la durée d’évolution de l’hypertension artérielle

Figure 2: répartition des patients en fonction du score de l’IIFE

Figure 3: répartition de la dysfonction érectile en fonction de la l’indice de masse corporelle

 

 

Références

  1. Feldman HA, Goldstein I, Hatzichristou DG, Krane RJ, McKinlay JB. Impotence and its medical and psychosocial correlates: results of the Massachusetts Male Aging Study. J Urol. 1994; 151(1): 54-61. PubMed | Google Scholar

  2. Ayta IA, Mckinlay JB, Krane RJ. The likely worldwide increase in erectile dysfunction between 1995 and 2005 and some possible policy consequences. BJU Int. 1999;84(1):50-56. PubMed | Google Scholar

  3. Kearney PM, Whelton M, Reynolds K, Muntner P, Whelton PK, He J. Global burden of hypertension analysis of world wide data. Lancet. 2005;365(9455):217-23. PubMed | Google Scholar

  4. Chobanian AV, Bakris GL, Black HR, Cushman WC, Green LA, Izzo Jr JL, et al. The seventh report of the JNC on prevention, detection, evaluation, and treatment of high blood pressure. JAMA. 2003;289(19):2560-2572. PubMed | Google Scholar

  5. Yayehd K, Damorou F, Akakpo R, Tchérou T, N'Da NW, Pessinaba S et al. Prévalence de l'hypertension artérielle et description de ses facteurs de risque à Lomé (Togo) : résultats d'un dépistage réalisé dans la population générale en mai 2011. Ann Cardiol Angéiol. 2013;62(1):43-50. PubMed | Google Scholar

  6. Damorou F, Pessinaba S, Tchérou T, Yayehd K, Ndassa SMC, Soussou B. Hypertension artérielle du sujet noir âgé de 50 ans et plus à Lomé : aspects épidémiologiques et évaluation du risque cardiovasculaire (étude prospective et longitudinale de 1485 patients). Ann Cardiol Angeiol. 2011;60(2):61-66. PubMed | Google Scholar

  7. Giuliano FA, Leriche A, Jaudinot EO, de Gendre AS. Prevalence of erectile dysfunction among 7689 patients with diabetes or hypertension, or both. Urology. 2004;64(6):1196-1201. PubMed | Google Scholar

  8. Kushiro T, Takahashi A, Saito F, Otsuka Y, Soma M, Kurihara T et al. Erectile dysfunction and its influence on quality of life in patients with essential hypertension. Am J Hypertens. 2005;18(3):427-430. PubMed | Google Scholar

  9. Johannes CB, Araujo AB, Feldman HA, Derby CA, Kleinman KP, McKinlay JB. Incidence of erectile dysfunction in men of 40 to 69 years old: longitudinal results from the Massachusetts Male Aging Study. J Urol. 2000;163(2):460-3. PubMed | Google Scholar

  10. Rosen RC, Cappelleri JC, Smith MD, Lipsky J, Pena BM. Development and evaluation of an abridged, 5-item version of the International Index of Erectile Function (IIEF-5) as a diagnostic tool for erectile dysfunction. Int J Impot Res. 1999;11(6):319-326. PubMed | Google Scholar

  11. Ponholzer A, Temml C, Obermayr R, Wehrberger C, Madersbacher S. Is erectile dysfunction an indicator for increased risk of coronary heart disease and stroke? Eur Urol. 2005;48(3):512-518. Google Scholar

  12. Bener A, Al-Ansari A, Abdulla OAA, Al-Hamaq AOAA, Isam-Eldin A, Elbagi I-EA et al. Prevalence of erectile dysfunction among hypertensive and nonhypertensive Qatari men. Medicina (Kaunas). 2007; 43(11):870-878. PubMed | Google Scholar

  13. Mittawae B, El-Nashaar AR, Fouda A, Magdy M, Shamloul R. Incidence of erectile dysfunction in 800 hypertensive patients: a multicenter Egyptian national study. Urology. 2006; 67(3):575-8. PubMed | Google Scholar

  14. Aranda P, Ruilope LM, Calvo C, Luque M, Coca A, Gil de Miguel A. Erectile dysfunction in essential arterial hypertension and effects of sildenafil: results of a Spanish national study. Am J Hypertens. 2004; 17(2):139-145. PubMed | Google Scholar

  15. Cordier G, Rouprêt M, Berthier R, Michel P-L, Haab F, Cussenot O et al. Prévalence et sévérité de la dysfonction érectile dans une population d'insuffisants coronariens : étude monocentrique. Prog Urol. 2008;18(9):595-600. PubMed | Google Scholar

  16. Kinsey AC, Pomeroy WB, Martin CF. Sexual behavior in the human male. Philadelphia: Saunders. 1948; 804. Google Scholar