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Accident vasculaire cérébral hémorragique mortel suite à une envenimation par une vipère à corne en Tunisie

Accident vasculaire cérébral hémorragique mortel suite à une envenimation par une vipère à corne en Tunisie

 

Hassen Ben Ghezala1, &, Salah Snouda1

 

1Faculté de Médecine de Tunis, Hôpital de Zaghouan, Avenue de l’Environnement, 1100 Zaghouan, Tunisie

 

 

&Auteur correspondant
Ben Ghezala Hassen , Faculté de Médecine de Tunis, Hôpital de Zaghouan, Avenue de l’Environnement, 1100 Zaghouan, Tunisie

 

 

Résumé
En Tunisie, parmi les envenimations par animaux terrestres, les morsures de vipéridés sont, après les piqûres de scorpions, les plus fréquentes. La présence d'un syndrome hémorragique est un des principaux critères de gravité. Nous rapportons le cas fatal d'une envenimation vipérine chez un patient de 37 ans sans antécédents qui a consulté nos urgences dans les suites d'une morsure de vipère. L'examen initial note un œdème local de la main gauche avec des ecchymoses et la trace de morsure. Initialement le patient est conscient. La biologie initiale est strictement normale. Quatre heures après son admission, le patient présente brutalement une altération de l'état de conscience. Le scanner cérébral pratiqué en urgence conclut à la présence d'hémorragie méningée, d'hématomes intra cérébraux et de lésions ischémiques diffuses. La biologie de contrôle révèle une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). L'évolution est rapidement défavorable avec décès du patient dans un tableau de coma dépassé.

 

 

Introduction

En Tunisie, les envenimations vipérines occupent le deuxième rang après les morsures de scorpion. Les principales espèces identifiées existent surtout au centre et au Sud. La vipère à corne (Cerastescerastes) est l'une des espèces les plus dangereuses qui sévit surtout dans la région désertique de la Tunisie [1]. Les signes locaux sont dominés par le syndrome hémorragique, la nécrose et le syndrome des loges. Le syndrome hémorragique définit en général la gravité de ces envenimations et conditionne le pronostic vital.Nous rapportons le cas fatal d'une envenimation vipérine chez un patient de 37 ans.

 

 

Patient et observation

Il s'agit d'un patient de 37 ans sans antécédents qui a été transféré à nos urgences dans les suites d'une morsure de vipère. C'est un berger habitant la communauté de Nasrallah à 40 km de Kairouan dans le centre Ouest de la Tunisie qui a été mordu par une vipère de façon accidentelle au niveau de l'index de la main gauche. Sa famille déclare avoir trouvé sur place une vipère à corne. Il n'y a aucune notion ou de circonstance de traumatisme. A l 'arrivée aux urgences: le patient présentait des vomissements et l'examen initial notait un œdème local de la main avec des ecchymoses et la trace de morsure. Initialement il était parfaitement conscient avec un état hémodynamique stable. La biologie initiale était strictement normale. Le patient a reçu immédiatement en 20 minutes une perfusion intraveineuse de sérum antivenimeux FAV-Afrique®à la dose six ampoules associé à une expansion volémique par cristalloïdes, une antibiothérapie par amoxicilline-acide clavulanique, une analgésie par paracétamol et des soins locaux au niveau de la morsure. Il a reçu également de l'héparine calcique à doses prophylactiques.Il a été admis en salle d'accueil des urgences vitales. Quatre heures après l'admission, il présente brutalement une altération de l'état de conscience avec un score de Glasgow à 06/15, un signe de Babinski bilatéral, une anisocorie gauche et une rigidité de décérébration. Il devient hypotendu avec une PA à 70/35 mm Hg, des extrémités froides et des marbrures. Localement, il y a eu une extension de l'œdème à tout le membre supérieur gauche. Le bilan biologique pratiqué à 4 heures, montre une anémie aiguëavec une hémoglobine à 7.4 g/dl, une thrombopénie à 32000 éléments/mm3 et un TP effondré à 21%. Le reste du bilan d'hémostase trouve un fibrinogène inférieur à 0.5 et des produits de dégradation de fibrine (PDF) présents. La biologie à l'admission et après 4 heures est résumée dans le tableau 1 (Tableau 1 ). Le scanner cérébral sans injection pratiqué en urgence trouve une hémorragie méningée avec des plages d'ischémie (Figure 1), un engagement sous falcoriel (Figure 2), un hématome sous dural (Figure 3) et une hémorragie intra-ventriculaire (Figure 4). L'évolution est rapidement défavorable avec décès du patient dans un tableau de coma dépassé avec absence de tous les réflexes du tronc.

 

 

Discussion

Les principales espèces de vipères identifiées en Tunisie sont la vipère lebetine (Macroviperalebetina) (du nord au sud), la vipère à corne (Cerastescerastes) (région désertique)(Figure 5), la vipère d'Avicenne (Cerastesvipera) (Gafsa et Tozeur) et la vipère des pyramides (Echiscarinatuspyramidium) (Médenine) [1]. Le venin de vipères est une salive qui est un mélange complexe d´enzymes protéiques et de toxines en quantités variables [2]. Sur le plan clinique, il existe des signes locaux avec une inflammation (constante), la trace de morsure (inconstante), des signes hémorragiques, une nécrose et un syndrome des loges. Il existe également des signes généraux avec un syndrome hémorragique et un état de choc pouvant être vagal, anaphylactique ou cardiogénique [3]. Les signes neurologiques sont rares et résultent souvent des troubles de l'hémostase. Le mécanisme de l'atteinte neurologique est complexe. L'atteinte neurologique est expliquée par une neurotoxicité directe par les neurotoxines alpha, béta et kappa. Les protéines: lectine C et désintégrine inhibent l'agrégation plaquettaire et la cascade de coagulation [4]. Dans le cas des vipères, et notamment de la vipère à cornes, la neurotoxicité est indirecte et induite par les lésions tissulaires et les perturbations de l´hémostase générées par les enzymes. Le venin de Cerastescerastes contient plusieurs protéines pro coagulantes : cérastocytine, et cérastobine. Il contient également la cérastase, la cérastatine, la cérastine et la cérastotine qui peuvent donner des thrombopénies et des hypofibrinogénémies [5]. Ces perturbations peuvent expliquer la survenue d'accidents vasculaires hémorragiques comme dans le cas de notre patient. Quelques cas rapportés dans la littérature ont décrit des coagulations intravasculaires disséminées (CIVD) secondaires à une envenimation par Cerastescerastes [6-8]. L'envenimation est classée en 4 grades (classification de Larréché et Goyffon) [9]. L'hospitalisation en réanimation est recommandée à partir du grade 2 et l'antivenin à partir aussi du grade 2. Le sérum administré dans cette observation n'est pas adapté puisqu'il n'est pas spécifique du genre Cerastes. L'antivenin adapté Favirept®commercialisé en France par Sanofi Pasteur n'est pas disponible en Tunisie. D'où la nécessité absolu de disposer dans les services d'urgences d'Afrique du Nord des deux antivenins adaptés aux serpents d'Afrique du nord. Le traitement des complications neuro-vasculaires ne peut être dans ce cadre que préventif [10].

 

 

Conclusion

L'envenimation vipérine, bien que rare, peut menacer le pronostic vital essentiellement par le biais du syndrome hémorragique systémique avec localisation viscérale neurologique comme le montre bien ce cas clinique.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs

Hassen Ben Ghezala, collecte des données, recherche bibliographique et rédaction. Salah Snouda, rédaction de l'article.

 

 

Tableau et figures

Tableau 1: bilan biologique à l’admission et après 4 heures. La biochimie était peu perturbée

Figure 1: hémorragie méningée avec des plages d’ischémie

Figure 2: engagement sous falcoriel

Figure 3: hématome sous-dural

Figure 4: hémorragie intra-ventriculaire

Figure 5: vipère à corne: cerastescerastes

 

 

Références

  1. Chaari AN, Bahloul M, Tlijani M, Dammak H, Bouaziz M. An unusual mode of snake poisoning in Tunisia. Medecine tropicale : revue du Corps de sante colonial. 2010 Apr;70(2):201-2. PubMed | Google Scholar

  2. Jeevagan V, Chang T, Gnanathasan CA. Acute ischemic stroke following Hump-nosed viper envenoming; first authenticated case. Thrombosis journal. 2012;10(1):21. PubMed | Google Scholar

  3. Chani M, Abouzahir A, Haimeur C, Kamili ND, Mion G. Ischaemic stroke secondary to viper envenomation in Morocco in the absence of adequate antivenom. Annales francaises d'anesthesie et de reanimation. 2012 Jan;31(1):82-5. PubMed | Google Scholar

  4. Marrakchi N, Barbouche R, Guermazi S, Bon C, el Ayeb M. Procoagulant and platelet-aggregating properties of cerastocytin from Cerastes cerastes venom. Toxicon : official journal of the International Society on Toxinology. 1997 Feb;35(2):261-72. PubMed | Google Scholar

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  7. Chani M, L'Kassimi H, Abouzahir A, Nazi M, Mion G. Three case-reports of viperin envenoming in Morocco. Annales francaises d'anesthesie et de reanimation. 2008 Apr;27(4):330-4. PubMed | Google Scholar

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  9. Larreche S, Mion G, Goyffon M. Haemostasis disorders caused by snake venoms. Annales francaises d'anesthesie et de reanimation. 2008 Apr;27(4):302-9. PubMed | Google Scholar

  10. Larreche S, Mion G, Clapson P, Debien B, Wybrecht D, Goyffon M. Neurotoxins from snake venom. Annales francaises d'anesthesie et de reanimation. 2008 Apr;27(4):310-6. PubMed | Google Scholar