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Réactions immunoallergiques graves aux antibacillaires: à propos de 10 cas

Réactions immunoallergiques graves aux antibacillaires: à propos de 10 cas

 

Sabah El Machichi Alami1,&, Sanae Hammi1, Jamal Eddine Bourkadi1

 

1Hôpital Moulay Youssef, CHU, Rabat, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Sabah El Machichi Alami, Hôpital Moulay Youssef, CHU, Rabat, Maroc

 

 

Résumé

L'hypersensibilité aux antituberculeux est l'un des effets secondaires imprévisibles qui apparait chez 4 à 5 % de la population exposée et s'élève à 25% chez les sujets VIH positifs. Dans notre étude parmi 39 patients ayant présenté des réactions immunoallergiques, 10 avaient des formes graves. Le délai moyen d'apparition des signes était de 23 jours. Les réactions immunoallergiques observées étaient 5 cas de toxidermie généralisée fébrile, un cas de Dress syndrome, un cas de neutropénie, un cas de pancitopénie et 2 cas de thrombopénie. Tous nos patients avaient bien évolué cliniquement et bactériologiquement après l'adoption d'un régime thérapeutique excluant le ou les médicaments incriminés. En pratique, si l'effet indésirable imputé à un antituberculeux est grave, il est impératif de l'arrêter, de traiter l'incident et d'associer une autre molécule chez certains cas. Notre étude a montré une fréquence significative des complications graves probablement sous-estimée, surtout dans les pays fortement touchés par l'infection HIV.

 

 

Introduction

Les allergies médicamenteuses peuvent être définies comme des réactions pathologiques induites par une prise médicamenteuse liées à un mécanisme immunologique [1]. L'hypersensibilité aux antituberculeux est l'un des effets secondaires imprévisibles qui apparait chez 4 à 5% de la population exposée et s'élève à 25% chez les sujets VIH positifs [1,2].

 

 

Méthodes

Etude rétrospective menée à l'hôpital Moulay Youssef de Rabat s'étalant sur une période de 18 mois (2013-2014). L'objectif était de recenser les patients ayant présenté des réactions immunoallergiques graves aux antibacillaires au cours de leur hospitalisation.

 

 

Résultats

Parmi 39 patients ayant présenté des réactions immunoallergiques, 10 avaient des formes graves (25.6%). L'âge moyen de nos patients était de 37,5 ans avec un sexe ratio de 1. Le délai moyen d'apparition des signes était de 23 jours. Les réactions immunoallergiques observées étaient 5 cas de toxidermie généralisée, un cas de Dress syndrome, un cas de neutropénie, un cas de pancitopénie et 2 cas de thrombopénie. Le délai moyen de disparition des manifestations immunoallergiques était de 14 jours. Les caractéristiques des 10 patients et les médicaments réintroduits du moins au plus incriminé selon le tableau clinique sont résumés dans le Tableau 1. L'identification de l'antibacillaire responsable était faite par un test de réintroduction en commençant par le médicament le moins incriminé selon les tableaux cliniques. L'imputabilité de la pyrazinamide était retenue dans 5 cas, alors que celle de l'éthambutol, l'izoniaside, la streptomycine, la rifampicine et l'association pyrazinamide + éthambutole + isoniazide était retenue dans 1 cas respectivement . Le protocole de réintroduction est résumé dans le Tableau 2. Tous les patients avaient bien évolué cliniquement et bactériologiquement après l'adoption d'un régime thérapeutique excluant le ou les médicaments incriminés.

 

 

Discussion

Mécanismes des réactions immunoallergiques aux antibacillaires:

Les antituberculeux peuvent induire des réactions d'hypersensibilité de type I à IV, selon la classification de Gell et Coombs [3,4]: type I: anaphylaxie ou encore hypersensibilité immédiate; type II: hypersensibilité cytotoxique; type III: hypersensibilité semi retardée; type IV: hypersensibilité retardée. Les mécanismes en cause sont variés et loin d'être parfaitement élucidés. Lorsqu'elles sont authentiquement liées à une allergie, les réactions immédiates (dans l'heure qui suit la dernière prise) ou très accélérée, de type urticaire/angioedème ou choc par exemple sont le plus souvent IgE dépendantes. Quant aux réactions non immédiates, (exemple les exanthèmes maculo-papuleux), elles impliquent une activation des lymphocytes T spécifiques et répondent à plusieurs mécanismes immunologiques [5,6] (Tableau 3).

Les signes cliniques des réactions immunoallergiques aux antibacillaires: Les manifestations cutanées de l'allergie aux antibacillaires sont multiples, allant d'une simple urticaire au décollement cutané, parfois mortel. Des dermatoses sévères peuvent être observées avec les antituberculeux, comme le syndrome de Stevens-Johnson (SSJ) et de Lyell (SL). Bien qu'il soit exceptionnel, ces derniers ont été décrits avec la rifampicine et la streptomycine [7]. Ils surviennent 7 à 21 jours après le début du traitement. Pour Roujeau et Stern le risque est maximal pendant les deux premiers mois [8,9]. Dans notre série le délai moyen des dermatoses sévères est estimé à 23 jours. Drira et al. [10] ont rapporté un cas de toxidermie à tous les antituberculeux. Dans une autre étude, deux cas de toxidermie généralisée sévère ont été notés, le premier imputé à la rifampicine [11] et le second à la streptomycine et au pyrazinamide [12]. Dans notre étude on rapporte un cas de Dress syndrome secondaire à 3 anti-bacillaires : isoniazide, pyrazinamide et éthambutol (Figure 1, Figure 2), et cinq cas de toxidermie généralisée secondaire à la streptomycine, à l'éthambutol ,à l'isoniazide et au pyrazinamide (Figure 3). Ces cas sont rares mais graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital, d'où la décision d'un arrêt définitif des médicaments incriminés.

Les effets indésirables immunoallergiques hématologiques sont représentés en premier par la thrombopénie qui est un accident rare mais grave qui peut être observé avec tous les antituberculeux. L'antibacillaire le plus fréquemment incriminé est la rifampicine, dans une moindre mesure l'isoniazide et de manière exceptionnelle le pyrazinamide [13,14] La fréquence des neutropénies induites par le traitement antituberculeux est difficile à évaluer. Elle varie de 0,06 % à 2,3 % [15, 16] et est fréquemment associée à une thrombopénie [16]. Dans notre série on a décrit deux cas de thrombopénie et un cas de leucopénie secondaire à la pyrazinamide et deux autre cas de thrombopénie et pancitopénie dues à la rifampicine.

Conduite à tenir devant les réactions immuno-allergiques aux antibacillaires:

Notre conduite dépendait du type de l'allergie, de la sévérité du tableau clinique et du médicament suspecté. La première étape du diagnostic d'une allergie aux antibacillaires repose sur un interrogatoire minutieux afin de préciser: Le mode de début; La symptomatologie clinique: voir les personnes en aigu ou avoir des photos des lésions est important; La chronologie des symptômes: contacts antérieurs avec le médicament en cause, délai d'apparition après la dernière prise, effet de l'arrêt qui n'est pas toujours concluant...; Les antécédents du patient: notion d'incidents allergiques antérieurs, en présence ou en dehors de toute prise médicamenteuse, pathologies associées, prise médicamenteuse concomitante...; Les signes de gravité dont la présence doit faire suspecter, rechercher et traiter rapidement un choc anaphylactique, un œdème laryngé, un syndrome de Lyell ou de Stevens-Johnson, une vascularite, ou un syndrome d'hypersensibilité avec atteintes multi-organes ou DRESS. La présence de ces signes de gravité doit faire doser quelques paramètres biologiques (Tableau 4) et arrêter immédiatement le traitement [17].

Devant une forte suspicion clinique et en l'absence de moyen de réalisation des tests cutanés -qui ne sont pas encore validés pour les antibacillaires et aussi vu l'indisponibilité dans notre contexte de leur forme injectable - l'arrêt d'un ou de plusieurs médicaments associé à un traitement symptomatique en cas de nécessité (corticoïdes et / antihistaminiques') est préconisée comme première étape. Par la suite (et seulement si nécessité absolue du médicament) on tente de réadministrer les antibacillaires à des doses progressives, l'un après l'autre en gardant en dernier le plus suspect de la réaction d'hypersensibilité, c'est le test de réintroduction. Ce test permettra d'identifier le médicament responsable. Alors devant les réactions allergiques graves, chez des patients ayant des formes pauci-bacillaires non étendues, l'arrêt définitif du médicament fortement suspecté est conseillé.

 

 

Conclusion

Les effets indésirables des antituberculeux sont variables, parfois imprévisibles et potentiellement graves. Notre étude a montré une fréquence significative des complications graves qui restent sous-estimées (25.6% selon notre étude). La survenue d'un effet indésirable évoquant le rôle des antituberculeux pose le problème de l'identification du produit responsable en absence de validité du bilan allergologique clairement établie pour l'allergie aux antibacillaires

 

 

Conflits d’intérêts

Les atueurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs

Tous les auteurs ont contribués à l'élaboration de ce travail. Tous ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Tableaux et figures

Tableau 1: caractéristique des patients ayant nécessité l’arrêt définitif du médicament incriminé.

Tableau 2: protocole de réintroduction des médicaments dans notre série.

Tableau 3: classification des réactions immunologiques provoquées par les médicaments [adaptée d'après 55,6].

Tableau 4: signes de gravité (cliniques et biologiques) à rechercher rapidement devant toute suspicion d’allergie médicamenteuse

Figure 1: exanthème maculeux du visage chez un patient qui a prsenté un DRESS syndrome attribué à 3 antibacillaires : isoniazide, pyrazinamide et éthambutol

Figure 2: exanthème diffus du tronc chez un patient qui a prsenté un DRESS syndrome attribué à 3 antibacillaires : isoniazide, pyrazinamide et éthambutol

Figure 3: toxidermie généralisée attribuée à la pyrazinamide

 

 

Références

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