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Difficulté de la prise en charge de la leucémie aiguë au cours de la grossesse au Maroc

Difficulté de la prise en charge de la leucémie aiguë au cours de la grossesse au Maroc

 

Rajaa Tissir1&, Mouna Lamchahab 1,Mustapha Benhassou, Meryeme Quachouh1, Mohammed Rachid1, Said Benchakroun1, Asmaa Quessar1

 

1Service d’hématologie et d’Oncologie pédiatrique Hôpital 20 août 1953, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université Ain Chok, Casablanca, Maroc, 2Service de gynécologie et obstétrique, CHU Ibn Rochd Casablanca Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Rajaa Tissir, service d’hématologie et d’oncologie pédiatrique, hôpital 20 Aout CHU Ibn Rochd casablanca, Maroc

 

 

Introduction

L’association leucémie aiguë (LA) et grossesse est rare, son incidence est estimée à 1 /75 000 – 100 000 grossesses [1,2]. Plus de 350 cas ont été rapportés dans la littérature [2-4]. La plus part des antimitotiques traversent le placenta, du fait de leurs faible poids moléculaire et de la solubilité élevée affectant le devenir fœtal à court et à long terme [5,6]. Elle soulève de nombreux problèmes : diagnostic, thérapeutique. La LA au cours de la grossesse met en jeu le pronostic fœtal et maternel rendant le diagnostic et le traitement difficile. L’objectif de ce travail est de décrire les particularités de la prise en charge de la LA au cours de la grossesse.

 

 

Méthodes

C’est une étude prospective descriptive menée au service d’hématologie et d’oncologie pédiatrique à l’hôpital 20 août du CHU IBN ROCHD de Casablanca depuis janvier 2009 à Août 2011. Toutes patientes enceintes atteintes de LA au cours de la grossesse a été incluse. Les grossesses survenues après le traitement ont été exclues. Le diagnostic de LA est fait selon les critères de l’OMS: morphologiques, immuno-phénotypiques et cytogénétiques. Le diagnostic de la grossesse estfait par échographie obstétricale. Toutes les patientes ont bénéficié d’un examen clinique complet biquotidien, un bilan biologique quotidien fait d’hémogramme, d’ionogramme, bilan hépatique, bilan rénale et de bilan d’hémostase. Le suivi gynécologique était hebdomadaire avec une échographie obstétricale et morphologique chez les patientes ayant reçues la chimiothérapie durant la grossesse. Le traitement, après consentement éclairé était différent selon le type de LA: selon le protocole LAL dans le cas des LAL et selon le protocole LAM dans le cas des LAM. Un bilan malformatif clinique et échographique a été fait chez tous les nouveau-nés.

 

 

Résultats

Huit cas de LA au cours de la grossesse sont colligés au service d’hématologie du CHU de Casablanca. Sept leucémies aiguës myéloblastiques (LAM) et une leucémie aiguë lymphoblastique (LAL). Quatre cas sont diagnostiqués durant le 1er trimestre de la grossesse, 1 cas estdiagnostiqué pendant le 2ème trimestre et 3 cas pendant le 3ème trimestre. L’accouchement est par césarienne programmée dans 2 cas et par voie basse dans 3 cas dont un est prématuré, 2 fausses couches et une mort fœtal après décès maternel. Cinq patientes ont reçues la chimiothérapie durant la grossesse à des termes différents et avec des médicaments différents. Les 5 nouveau-nés sont bien portants avec un bilan malformatif négatif. Les caractéristiques des patientes, leurs traitements et évolutions figurent sur les Tableau 1 et Tableau 2.

 

 

Discussion

Les hémopathies malignes associées à la grossesse sont rapportées dans la littérature: maladie d’hodgkin, lymphome non hodgkinien, LA, syndrome myélodysplasique [7,8]. L’association leucémie et grossesse est rare, son incidence est estimée à 1 /75 000 – 100 000 [1,2]. Le premier cas été publié par Virchow en 1845 [2]. Chez la femme enceinte 90% des leucémies sont aiguës avec 61% de LAM et 28% de LAL [9]. Le diagnostic est généralement fait pendant le 2ème et le 3ème trimestre de la grossesse [1,9,10]. Parfois le diagnostic est difficile du fait d’attribuer les symptômes de la LA à la grossesse [2]. Tout retard ou changement de traitement pour sauvetage fœtal risque d’augmenter le taux de mortalité maternelle. Il est admis que la grossesse n’affecte pas l’évolution ou le taux de rémission complète des LA [2].

 

La grossesse entraîne des changements métaboliques: l’augmentation d’environ 50% du volume plasmatique et de la clairance rénale, la création d’un troisième secteur par la cavité amniotique et l’accélération de l’oxydation hépatique [11,12]. Ces modifications diminuent la concentration de la chimiothérapie chez l’animal. Cependant il n’y a pas d’étude sur la pharmacocinétique de ces médicaments chez la femme enceinte, ce qui renddifficile la détermination des doses chez ces patientes [11].

 

L’effet de la chimiothérapie chez le fœtus durant la période de l’organogenèse est caractérisé par une augmentation du taux d’avortement spontané, de mort fœtal 6%, de retard de croissance intra utérin 7%, de malformations fœtal et d’accouchement prématuré 5% [5,13] . L’effet à long terme est mal connu. Après la période de l’organogenèse l’administration de la chimiothérapie est associée à un risque faible de retentissement sur le développement fœtal, l’hypotrophie reste l’incident prédominant [10,14]. Certains auteurs considèrent que l’administration de la chimiothérapie pendant le 2ème et le 3ème trimestre est possible sans risque, cependant ceci n’est pas admis par d’autres auteurs [15-17].

 

Le traitement d’une LAM diffère de celui d’une LAL. Dansles LAM le protocole le plus utilisé consiste en l’association de cytarabine et antracyclines. L’expérience avec la cytarabine au cours de la grossesse est limitée. C’est un anti-métabolite connu par son effet tératogène selon les essaies clinique chez l’animal [18,19]. Une revue de 93 cas de femmes enceintes ayant reçues durant la grossesse soit la cytarabine seule soit en association avec d’autres drogues (thioguanine, doxorubicine, prédenisone et vincristine) retrouve 4 cas de malformations rénales, 6 cas de mort fœtal in utero, 12 cas de retard de croissance intra utérin, 2 cas de mort néonatale liée à une infection sévère et 5 cas de cytopénie néonatal [11,12].

 

Les antracyclines sont indispensables dans le traitement des LA. Ils sont cardiotoxiques pour le fœtus. L’idarubicine est proscrite durant la grossesse car elle a un passage placentaire important du fait de son caractère lipophile [20]. La doxorubicine semble être la plus utilisée, son usage est relativement sans risque [8,12,19,21]. Une revue de 160 cas de femme enceinte exposées aux antracyclines retrouve2 cas de cardiopathie réversible liée à l’usage de l’idarubicine pendant le 2ème trimestre et un cas de cardiopathie létale [20]. Un suivi de 81 enfants issus de mères traitées par des antracyclines pendant la grossesse n’a pas retrouvé de cardiopathie ni pendant la grossesse ni pendant le post partum [19].

 

L’ Hydroxyurée est un médicament cytotoxique inhibiteur de la synthèse d’ADN. Elle doit être évitée pendant le 1er trimestre. Son usage durant le 2ème et le 3ème trimestre augmente le risque de survenue de pré- éclampsie. Une revue de 50 femmes enceintes traitées par Hydroxyurèe pour différentes indications retrouve 2 cas demort fœtal intra- utérine (traité pendant le 1er trimestre), 3 cas de malformations mineurs et 9 cas d’accouchement prématuré [21].

 

La leucémie promyélocytaire (LAM3) pose le problème de coagulopathie intra vasculaire disséminé (CIVD) qui risque d’entraver la prise en charge de la grossesse. Son traitement est basé sur l’acide tout transrétinoïque (ATRA) associé à la chimiothérapie. L’ATRA est tératogène dans environ 85%pendant le 1er trimestre de la grossesse [11].

 

L’administration de l’ATRA seul ou en association aux antracyclines pendant le 2ème et le 3ème trimestre est rapportée dans la littérature avec de bons résultats sans malformations associée [2,20-25]. La prévalence des LAL au cours de la grossesse est rare, 19 cas sont rapportés dans la littérature [2]. C’est une maladie agressive nécessitant une chimiothérapie dès le diagnostic. Les données de la Littérature sont rares concernant le traitement des LAL, le méthotréxate représente un agent important dans le traitement mais il est connu par son effet tératogène. L’usage du mèthotrèxate pendant le 1er trimestre augmente le risque de fausse couche et la survenue de malformations : hypertélorisme, macrognathie et des anomalies de l’ouïe [26].

 

Les Corticostéroïdes de courte durée d’action, Le prédnisone, le prédnisolone et le méthyl- prédenisolone sont métabolisés par la 11 hydroxgenase placentaire ce qui expose le fœtus à 10% de la dose maternelle [27]. Les études chez l’animal ont montré que l’exposition anténatale aux corticostéroïdes prédispose aux malformations de la fente palatine et au trouble du développement neuronal [27]. L’usage des corticostéroïdes chez la femme enceinte peut être associé à un retard de croissance intra-utérin avec hypotrophie [28].

 

Le risque de malformation diminue avec l’avancement de la grossesse, ainsi La décision thérapeutique doit prendre en considération l’âge de la grossesse et l’agressivité de LA. Au cours du 1er trimestre il est suggéré d’arrêter la grossesse puis le traitement. Au cours du 3ème trimestre le traitement est fait selon les protocoles standards. Au cours du 2ème trimestre l’interruption s’impose avant 20 SA et après 20 SA le traitement doit prendre en considération le retentissement des drogues chez le fœtus [15,28].

 

 

Conclusion

L’association d’une LA et grossesse est un évènement rare. Elle nécessite une prise en charge multidisciplinaire tenant compte des impératifs de la maladie et de son traitement, de la femme et de son désire de grossesse ainsi que des dimensions éthiques et morales. L’utilisation de chimiothérapie au cours de la grossesse est possible après 20 SA. L’interruption de grossesse s’impose avant cette date. Les résultats des traitements des LA pendant la grossesse se comparent favorablement à ceux obtenus dans une autre situation, à intensité égale de traitement. Il persiste des doutes sur l’avenir des enfants issus de ces grossesses compte tenu de la faible quantité de données, ce qui justifierait la création d’un registre pour un suivi à long terme qui permettrait de proposer des thérapeutiques Plus adaptées.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

 

 

Contribution des auteurs

Tous les auteurs ont contribué à la rédaction de ce manuscrit et lu et approuvé la version finale.

 

 

Tableaux

Tableau 1: les caractéristiques obstétricales, hématologiques et des Leucémies aigues des patientes

Tableau 2: traitement des patientes durant la grossesse et après l’accouchement ainsi que leurs devenirs hématologiques et obstétricaux

 

 

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