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Corps étranger de l’urètre et dépression mélancolique, les implications diagnostiques aux urgences - à propos d’un cas clinique

Corps étranger de l’urètre et dépression mélancolique, les implications diagnostiques aux urgences - à propos d’un cas clinique

 

Chouaib Ali1,&, Cabanis Patrick1, Billebaud Thierry1

 

1Service d’urologie, centre hospitalier inter-communal de Creteil, 50 Avenue Verdun 94000 Créteil, France

 

 

&Auteur correspondant
Chouaib Ali, Service d’urologie, centre hospitalier inter-communal de Creteil, 50 Avenue Verdun 94000 Créteil, France

 

 

Introduction

Les corps étrangers (CE) de l’urètre masculin ont été largement rapportés et discutés dans la littérature. Ceci est souvent du, soit à une curiosité érotique, soit chez des patients présentant des troubles mentaux, ou rarement dans le cadre d’une tentative d’évacuation des urines lors d’une rétention aigue des urines. Le diagnostic est souvent clinique, et l’extraction du corps étranger par voie endoscopique constitue le traitement de référence. En plus du traitement chirurgical, l’urologue a l’obligation d’évaluer l’état psychiatrique du patient, et au moindre doute de le référer au psychiatre pour rechercher une étiologie psychiatrique méconnue dans le milieu du patient, et qui peut être dangereuse [1]. A travers le cas d’un adolescent de 17 ans qui avait une dépression grave et méconnue, découverte suite à l’insertion de six aiguilles à coudre dans son urètre, nous rappelons l’intérêt de l’évaluation psychiatrique de tous les patients se présentant pour insertion de corps étrangers du bas appareil urinaire.

 

 

Patient et observation

Il s’agit d’un adolescent de 17 ans, qui s’est présenté au service des urgences pour une urétrorragie minime et isolée. L’interrogatoire a révélé la notion d’insertion volontaire dans l’urètre de six aiguilles à coudre reliées par un fil, dans un contexte d’ivresse. La famille a confirmé la stabilité mentale de l’adolescent. L’examen clinique a retrouvé le bout du fil extériorisé par le méat urétral. La palpation de l’urètre a permis de localiser les aiguilles, bloquées dans l’urètre, 5 cm au-dessus du méat urétral.

 

Ces aiguilles ont été mises dans le sens inverse, avec le bout pointu dans le sens de la traction, ce qui a rendu impossible leur extraction manuelle par traction sur le fil. Pour compléter l’approche thérapeutique, nous avons réalisé systématiquement une évaluation psychiatrique initiale, pour éliminer une notion d’automutilation d’origine psychiatrique. Le psychiatre a conclu au diagnostic d’une dépression grave avec des idées suicidaires, nécessitant une prise en charge psychiatrique dans un service spécialisé. Le patient fut acheminé au bloc opératoire après vérification de son statut vaccinal et l’administration d’une antibioprophylaxie par voie veineuse. L’urétrocystoscopie et l’utilisation d’une pince à corps étranger a permis de pousser le fil dans la vessie, pour désolidariser les aiguilles et de les retirer une par une, en protégeant le bout pointu entre les maures de la pince. Le fil a été retiré en dernier (Figure 1 et Figure 2).

 

 

Discussion

Plusieurs cas d’insertion de CE dans l’appareil urinaire masculin ont été rapportés dans la littérature, ils sont souvent associés à d’autres comorbidités causales. Les principales étiologies rapportées sont les impulsions érotiques, les troubles psychiatriques surtout dans le cadre d’automutilation, les troubles de la personnalité chez les sujets à personnalité limite, et les intoxications [2]. Malheureusement la majorité des auteurs ne recommandent pas une évaluation psychiatrique systématique.

 

Alibadi et al [3], a rapporté une série de 18 patients avec une insertion de corps étrangers dans l’urètre , et dont les étiologies étaient les suivantes : l’auto-érotisme chez 6 patients (33%), une cause psychiatrique chez 2 patients (11%), pour soulager une rétention des urines chez 7 patients (39%), et sans cause précise chez 3 patients (17%) .

 

La symptomatologie clinique est polymorphe, variant selon le type et le siège du corps étranger, en effet, elle peut associer un ou plusieurs des signes suivants : dysurie, douleur périnéale, urètrorragie, hématurie microscopique ou macroscopique, rétention aigue des urines [2,3]. Au niveau de l’urètre antérieur, le CE est souvent accessible à la palpation, permettant ainsi de préciser son siège et ses dimensions.

 

Si le diagnostic n’est pas clair, il faut demander une radiographie standard pour localiser les CE radio-opaques, et une exploration échographique pour les CE radio-transparents [4]. Le traitement comporte deux volets, d’une part, l’extraction du corps étranger, en utilisant le moyen le moins invasif, tout en évitant les complications, ainsi l’extraction endoscopique doit être toujours tentée en premier.

 

D’autre part, et vu que les maladies psychiatriques constituent une des causes les plus fréquentes et les plus graves des insertions de CE dans l’urètre, l’urologue a l’obligation de demander systématiquement une évaluation psychiatrique initiale en urgence. Pour ne pas passer à côté d’un trouble psychiatrique grave, nécessitant une prise en charge bien menée. Cette évaluation initiale vise surtout à chercher et à démasquer une dépression méconnue par l’entourage, qui se manifeste d’emblée par des idées d’automutilation et /ou suicidaires [5,6]. Par conséquence, si ce diagnostic n’a pas été recherché, et le patient s’automutile ou se suicide, l’urologue peut être confronté à des problèmes juridiques liés à l’absence de diagnostic et de traitement, qui peuvent être interprétés comme une erreur médicale [1-5].

 

 

Conclusion

Devant un cas d’insertion de CE au niveau du bas appareil urinaire il faut toujours faire une évaluation psychiatrique visant surtout à rechercher une dépression masquée qui peut être dangereuse. Non diagnostiquée, cette étiologie psychiatrique peut engager la responsabilité juridique de l’urologue.

 

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.

 

 

Contribution des auteurs

CA: interne du service et le rédacteur de l'article. BT: c'est le chirurgien qui a opéré le patient. CP: le chef du service d'urologie. Tous les auteurs ont lu et approuvés la version finales du manuscrit.

 

 

Figures

Figure 1: aspect endoscopique de l’urètre avec des aiguilles à coudre incrustées dans la muqueuse urétrale chez un patient de 17 ans reçu au service des urgences pour une urétrorragie minime et isolée

Figure 2: les six aiguilles à coudre et le fil qui les reliait, après extraction endoscopique

 

 

Références

  1. Boscolo-Berto Rafael, Iafrate Massimo, Viel Guido. Forensic implications in self-insertion of urethral foreign bodies. Can J Urol. 2010 ;17(1): 5026-5027. This article on PubMed

  2. Sukkarieh Troy, Smaldone Marc, Shah Bharat. Multiples foreign bodies in the anterior and posterior urethra.Int Braz J Urol. 2004 May-Jun;30(3):219-20. . This article on PubMed

  3. Aliabadi Hossein, Cass Alexander, Gleich Paul, Johnson Charles. Selfinflicted foreign bodies involving lower urinary tract and male genitals. Urology. 1985 Jul;26(1):12-6. This article on PubMed

  4. van Ophoven Arndt, deKernion Jean. Clinical management of foreign bodies of the genitourinary tract. J Urol. 2000;164: 274-287. This article on PubMed

  5. Tharoor Hema. A case of a genital self-mutilation in an elderly man. Prim Care Companion J Clin Psychiatry. 2007; 9(5): 396-397. This article on PubMed

  6. Parihar Mansi, Passi Gouri Rao. Medical errors in paediatric practice. Indian Pediatr. 2008 Jul;45(7):586-9. This article on PubMed