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"Limb-body-Wall complex" et exposition anténatale à l’alcool - à propos de deux cas

"Limb-body-Wall complex" et exposition anténatale à l’alcool - à propos de deux cas

 

Toni Kasole Lubala1,2, Arthur Ndundula Munkana1, Augustin Mulangu Mutombo1, Sébastien Musanzayi Mbuyi1, Gray aWakamb Kanteng1, Mick Yapongombo Shongo1,2

 

1Faculté de Médecine, Université de Lubumbashi, BP1825, Lubumbashi, République Démocratique du Congo, 2Centre Interdisciplinaire de Génétique au Congo, CIGEC, Lubumbashi, République Démocratique du Congo

 

 

&Auteur correspondant
Toni Kasole Lubala, Faculté de Médecine, Université de Lubumbashi, BP1825, Lubumbashi, République Démocratique du Congo

 

 

Résumé

Le "Limb-Body-Wall complex" est une association malformative rare décrite pour la première fois en 1987 par Van Allen. Sa cause n'est pas encore connue à ce jour. L'hypothèse de l'existence de facteurs génétiques et environnementaux (alcool) associés à ces phénotypes a été évoquée dans la littérature. Nous décrivons deux phénotypes de cette association malformative complexe, diagnostiquée chez des nouveau-nés à terme. Les mères des deux propositus ont reconnu avoir consommé de l'alcool régulièrement durant leur grossesse. Il s'agit des premiers cas Congolais rapportés dans la littérature.

 

 

Introduction

Le "limb Body Wall complex" est une association malformative rare décrite pour la première fois en 1987 par Van Allen [1]. On estime sa prévalence à 0.21-0.31 pour 10000 naissances [2]. Le diagnostic de ce complexe malformatif peut être posé en présence de deux des trois éléments suivants: une malformation du tube neural, une disruption de la paroi abdominale ainsi qu'une anomalie des membres [1]. Sa cause n'est pas encore connue à ce jour. L'hypothèse de l'existence de facteurs génétiques et environnementaux (alcool) associés à ces phénotypes a été évoquée dans la littérature. Nous décrivons deux phénotypes de cette association malformative complexe, diagnostiquée chez des nouveau-nés à terme. Les mères des deux propositus ont reconnu avoir consommé de l'alcool régulièrement durant leur grossesse. Il s'agit des premiers cas Congolais rapportés.

 

 

Patient et observation

Cas 1

 

Il s'agit d'un nouveau-né vivant et à terme, de sexe masculin. L'accouchement a eu lieu par voie basse dans une maternité de la Province minière du Katanga, au sud de la République Démocratique du Congo. Il est le premier enfant du couple. Il n'y a pas d'antécédent d'avortement spontané ni de fausse couche. Son père est âgé de 31 ans et sa mère de 26 ans. Leur mariage n'est pas consanguin. La grossesse n'a pas été suivie dans le cadre des consultations prénatales. L'échographie réalisée à la 16ème semaine de la grossesse n'a rien révélé de particulier. La mère rapporte une consommation quotidienne d'au moins un verre de bière (4% d'alcool/72cl) pendant la grossesse. Il n'y a pas de notion de tabagisme et aucune infection n'a été diagnostiquée pendant la grossesse. A l'examen clinique, son poids de naissance est normal (3250 g). Il présente une microcéphalie sévère (PC: 16 cm) associée à une exencéphalie frontale. On observe en outre une anophtalmie droite, une exophtalmie gauche, une large fente faciale médiane ainsi qu'une absence complète du nez. A l'examen des membres inférieurs on observe une amputation de la jambe gauche et une déformation du pied droit en varus. Le patient est décédé une heure après sa naissance.

 

Cas 2

 

Il s'agit d'un nouveau-né vivant et à terme, de sexe féminin. L'accouchement a eu lieu par césarienne dans une maternité de la province minière du Katanga, au sud de la République Démocratique du Congo. Il est le premier enfant du couple. Il n'y a pas d'antécédent d'avortement spontané ni de fausse couche. Son père est âgé de 44 ans et sa mère de 34 ans. Leur mariage n'est pas consanguin. La grossesse a été suivie aux consultations prénatales et le diagnostic de laparoschisis posé à l'échographie réalisée au deuxième trimestre de la grossesse. La mère rapporte une consommation d'au moins d'une bouteille de bière par semaine (4% d'alcool/72cl) pendant la grossesse. Il n'y a pas de notion de tabagisme et aucune infection n'a été diagnostiquée pendant la grossesse. A l'examen clinique réalisé à la naissance, la patiente présente une cyanose centrale. On n'observe pas de dysmorphie faciale particulière. Elle présente un large défect latéral de la paroi thoraco abdominale gauche à travers lequel s'extériorisent le c'ur, le foie ainsi que l'intestin grêle. Le sternum est intact à la palpation. Le c'ur n'est recouvert ni d'une membrane séreuse ni d'un revêtement cutané. On observe par ailleurs une malformation réductionnelle du membre supérieur gauche: agénésie de l'avant-bras et de la main gauche ainsi qu'une hypoplasie humérale homolatérale. Le patient est décédé à 6 heures de vie. L'autopsie n'a pas pu être réalisée faute d'autorisation.

 

 

Discussion

Le "limb body wall complex" est une association de malformations sévères rare. Jusqu'en 2009, seuls 245 cas étaient rapportés dans la littérature [2]. Très souvent incompatibles avec la vie, la plupart sont des produits d'avortements spontanés ou mort-nés. De ceux qui sont vivants à la naissance, très peu survivent au-delà de la période néonatale. Dans ce cas, ils vivent avec des handicaps majeurs.

 

Depuis les travaux de Russo et al, on a longtemps considéré qu'il existait deux phénotypes distincts [3]. Mais plus récemment Rachad et al ont rapporté un cas associant les deux phénotypes [4]. Le premier phénotype décrit par Russo et al est dit phénotype avec attache placento-crânienne. Il associe un défaut de fermeture du tube neural dans le territoire céphalique, toujours associé avec une ou plusieurs fentes faciales complexes, une coelosomie antérieure et des brides amniotiques inconstantes. Les anomalies des membres sont facultatives et touchent surtout les membres supérieurs [5]. Dans le second phénotype avec attache placento- abdominale, il n'y a pas de malformations faciales, mais des anomalies urogénitales, des imperforations anales, un cordon ombilical court, un méningomyélocele lombosacré ou une cyphoscoliose [3].

 

Chez notre premier patient, nous avons observé une exencéphalie ainsi qu'une fente faciale médiane. Il présentait par ailleurs une amputation du membre inférieur gauche. Les parois thoracique et abdominale étaient intactes. De plus, nous avons observé une déformation du pied droit en varus. Une étude ayant porté sur 25 fœtus ayant un Limb-body-wall complexe a montré que 44% d'entre eux avaient un pied bot [5]. Ce phénotype semble donc correspondre au placentocranial décrit par Russo et al [3].

 

Dans ce cas, la théorie vasculaire ou endogène développée par Van Allen et al pourrait expliquer le phénotype observé. Il y a très probablement eu une disruption vasculaire très tôt dans son développement embryonnaire ayant entrainé une anoxie et une nécrose, responsables de l'interruption du développement embryonnaire ainsi que la déformation en varus du pied droit, survenue quant à elle beaucoup plus tardivement durant la période fœtale.

 

De plus, l'examen du segment distal du moignon du membre inférieur gauche montre un anneau de constriction compatible avec une persistance du c'lome extra embryonnaire [5]. Par ailleurs, la théorie de la rupture précoce de l'amnios développée par Torpin en 1965 peut aussi expliquer la présence d'anneaux de constriction voire l'amputation d'un membre [6]. Cette théorie met en cause une interruption primaire de l'amnios induisant la formation des brides amniotiques, qui serait par un phénomène traumatique, elles-mêmes responsables des lésions fœtales.

 

Chez notre deuxième patient, le c'ur s'extériorisait avec le foie et l'intestin grêle à travers un défect latéral gauche de la paroi thoraco abdominale, laissant le sternum intact. Chez ce patient, il n'y avait pas de dysmorphie faciale. Nous avons par ailleurs observé une malformation réductionnelle du membre supérieur gauche. Ce phénotype correspond au placentoabdominal décrit par Russo et al [3]. Dans ce cas, la théorie de streeter et al [7] est plus vraisemblable. Ils évoquent l'existence d'un défect du disque embryonnaire avec un mal développement embryonnaire précoce. L'ensemble conduit à une anomalie de fermeture de la paroi abdominale, à la persistance du c'lome extra embryonnaire; aux anomalies du cordon, du placenta et des membres [8].

 

L'étiologie de ce complexe malformatif n'est pas encore connue. Aucune anomalie génétique et aucun tératogène n'y a à ce jour été associé, bien que des cas cliniques publiés, rapportant une récurrence familiale, suggèrent la possibilité d'une cause génétique [9]. La théorie de la disruption vasculaire privilégiée par de nombreux auteurs est importante car il s'agit d'un évènement toujours accidentel et donc favorable pour l'avenir reproductif du couple.

 

Dans nos observations, les pères étaient âgés de 44 et 31 ans et les mères de 34 et 26 ans. Le premier patient était de sexe féminin et le second de sexe masculin. Il y avait donc un couple relativement jeune et un couple relativement âgé et les deux sexes étaient représentés. D'autres travaux ont montré qu'il n'y avait pas de corrélation avec le sexe et l'âge des parents [2].

 

Dans les deux cas, les mères ont reconnu avoir consommé de l'alcool régulièrement durant toute la durée de leur grossesse. A ce jour, l'alcool n'est pas encore reconnu comme cause de limb-body-wall complexe et l'existence de tératogènes associés à ces phénotypes est encore incertaine. En effet, nous n'avons trouvé qu'une seule étude évoquant une possible relation de cause à effet. Cette étude qui a porté sur une série de 11 patients a révélé que 50% d'entre eux avaient une histoire d'exposition anténatale à l'alcool [10]. Une autre étude d'une série de 11 cas japonais n'a quant à elle trouvé aucun tératogène [11].

 

 

Conclusion

Bien qu'il soit encore prématuré de conclure formellement en l'existence d'une relation de cause à effet entre la consommation maternelle d'alcool et la survenue d'un Limb-body-wall complexe, ces nouveaux cas cliniques soulignent davantage la nécessité de rechercher le rôle des tératogènes dans la pathogénie de la maladie. L'exposition anténatale à l'alcool pourrait en être un facteur étiologique parmi d'autres. En effet, il semble que le "limb-body-wall complexe" ne soit pas le résultat d'un mécanisme pathogénique unique mais plutôt de la conjonction de plusieurs mécanismes morpho pathogéniques contemporains ou consécutifs.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts

 

 

Remerciements

Professeur Yves Gillerot du Centre de Génétique Humaine -IPG - Loverval- Belgique, pour l'aide au diagnostic clinique des cas que nous rapportons.

 

 

Contributions des auteurs

Toni Kasole Lubala : Examen clinique des nouveau-nés, Rédaction du manuscrit. Arthur Ndundula Munkana : Consultations prénatales, échographie et diagnostic anténatal. Augustin Mulangu Mutombo : Examen clinique des nouveau-nés et Photographies. Nina Lubala : Rédaction du manuscrit et traduction en Anglais. Gray Awakamb Kanteng : Revue de la littérature. Mick Yapongombo Shongo : Correction du manuscrit. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures

Figure 1: Exencéphalie frontale, large fente faciale médiane, amputation de la jambe gauche et déformation du pied droit en varus

Figure 2: Eviscération à travers une brèche thoracoabdominale latérale gauche

 

 

Références

  1. Van Allen MI, Curry C, Gallagher L. Limb body wall complex: I- Pathogenesis. Am J Med Genet. 1987 Nov;28(3):529-48. PubMed| Google Scholar

  2. Socolov Demetra, Cristina Terinte, Vlad Gorduza, et al. Limb Body Wall Complex - case presentation and literature review. Rom J Leg Med. 2009; 17(2):133 - 138. PubMed| Google Scholar

  3. Van Allen MI, Curry C, Walden CE, Gallagher L, Patten RM. Limb-body wall complex: II- Limb and spine defects. Am J Med Genet. 1987 Nov;28(3):549-65. PubMed| Google Scholar

  4. Russo R, Vecchione R. Limb body wall complex: craniofacial defects as a distinctive factor. Birth Defects Orig Artic Ser. 1996;30(1):157-64. PubMed| Google Scholar

  5. Rachad Myriam, Hikmat Chaara, Hakima Bouguern, Abdelillah Melhouf. "Limb body wall complex": about a rather unusual observation. Pan Afr Med J. 2012;11:20. PubMed| Google Scholar

  6. Torpin R. Amniochorionic mesoblastic fibrous strings and amnionic bands: associated constricting fetal malformations or fetal death.Am J Obstet Gynecol. 1965 Jan 1;91:65-75. PubMed| Google Scholar

  7. Streeter GL. Focal deficiencies in fetal tissues and their relation to intrauterine amputations. Contrib Embryol Carneg Inst. 1930; 22:1-44. PubMed| Google Scholar

  8. Hartwig NG, Vermeij-Keers C, De Vries HE, Kagie M, Kragt H. Limb body wall malformation complex: an embryologic etiology? Hum Pathol. 1989 Nov;20(11):1071-7. PubMed| Google Scholar

  9. Plakkal N, John J, Jacob SE, Chithira J, Sampath S. Limb body wall complex in a still born fetus: a case report. Cases J. 2008 Aug 12;1(1):86. PubMed| Google Scholar

  10. Luehr B, Lipsett J, Quinlivan JA. Limb-body wall complex: a case series. J Matern Fetal Neonatal Med. 2002 Aug;12(2):132-7. PubMed| Google Scholar

  11. Kurosawa K, Imaizumi K, Masuno M, Kuroki Y. Epidemiology of limb-body wall complex in Japan. Am J Med Genet. 1994 Jun 1;51(2):143-6. PubMed| Google Scholar